La Rue de la Mort (Side Street) – d’Anthony Mann – 1950
Dernier film noir d’Anthony Mann avant son grand cycle consacré au western, La Rue de la Mort marque une rupture de style assez marquante avec ses précédents chef d’œuvre du genre. Comme pour Incident de frontière, le cinéaste adopte un style quasi-documentaire avec un tournage en extérieur, et une image épurée, moins âpre et stylisée. Mais ici, il va plus loin encore. Avec un nouveau chef opérateur (Joseph Ruttenberg remplaçant le grand John Alton), Mann signe un film presque clinique, sur la descente aux enfers d’un jeune homme incapable de trouver sa place dans une ville aussi vampirisante que New York.
La Big Apple tient un rôle primordial dans ce film qui, ce n’est pas un hasard, commence par d’impressionnants plans aériens de la ville. Le poids de cette mégalopole se fait continuellement sentir, et c’est parce qu’il ne peut se résoudre à n’être qu’une minuscule partie de ce tout gigantesque que notre jeune héros va frôler la tragédie…
Jeune facteur sans le sou, Farley Granger rêve en grand. Il veut le meilleur pour son épouse (Cathy O’Donnell, déjà sa partenaire dans Les Amants de la Nuit de Nicholas Ray) et leur futur enfant. Alors un jour, il vole une enveloppe qu’il croit contenir quelques billets. Mais ce sont 30 000 dollars qu’il vient de dérober, et il ignore encore que cet argent appartient à un gang de kidnappeurs et de tueurs. Poursuivi par les gangsters, poursuivi par la police, poursuivi par sa mauvaise conscience, il ne fera que de mauvais choix, refusant de se rendre à des policiers tout prêts à le croire, et faisant confiance à un barman qui s’empressera de le trahir…
L’intrigue est clairement celle d’un film noir, et Farley Granger est une figure inoubliable du genre. On est constamment tiraillé entre l’envie de baffer ou de prendre dans ses bras ce type immature, définitivement trop modeste et fragile pour faire le poids face à un environnement aussi oppressant que le sien. D’ailleurs, le film a bien des points communs avec les grands films noirs stylisés de Mann, le réalisateur adoptant une nouvelle fois une voix off qui présente l’histoire comme une affaire parmi d’autres que la police a à traiter (c’était déjà le cas pour La Brigade du Suicide, par exemple).
La grande différence ici est la manière dont Mann utilise la ville. D’innombrables plans en contre-plongée font des buildings de grandes murailles omniprésentes ; l’intimité est un luxe que Farley Granger est bien incapable de s’offrir (y compris sur les toits des immeubles ou dans sa propre chambre) ; le danger semble aussi présent dans les rues ensoleillées et gorgées de monde que dans les ruelles étroites et sombres…
Et puis il y a cette incroyable course poursuite finale, tournée également en décors naturels, dans les rues soudain désertes de Manhattan. Mann utilise à merveille les grandes façades des immeubles pour accentuer l’impact de ses images. Haletante et impressionnante, cette préfigure les grandes course-poursuites à venir : celles de French Connection ou de Bullitt, pour ne citer que les plus fameuses.
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