Les Espions (Spione) – de Fritz Lang – 1928
Dans l’Allemagne des années 20, la police semble totalement dépassée par une mystérieuse organisation criminelle qui s’adonne à l’espionnage en recourant au meurtre, au vol, et aux méthodes les plus spectaculaires… Le Docteur Mabuse aurait-il encore frappé ? Pas tout à fait… Six ans après le triomphe de son premier chef d’œuvre, Fritz Lang (toujours avec son épouse-alter ego Thea Von Harbou au scénario) donne bien l’impression d’offrir une variation sur le même thème. Il y a d’ailleurs dans Les Espions le même esprit feuilletonesque, le même rythme trépidant, et la même volonté d’en mettre plein les mirettes à des spectateurs qui n’en demandaient pas tant (et qui ont évidemment fait un nouveau triomphe au film).
Il y a toutefois une différence de taille entre les deux films : le second degré politique du Docteur Mabuse a en grande partie disparu. Même si on peut se passionner ici aussi pour la vision que le film donne de son époque, et même si on peut y déceler la trace des menacent qui pèsent sur l’Allemagne de Weimar, Les Espions est bien plus que Mabuse un pur plaisir sans réelle arrière-pensée. Un divertissement gourmant aussi exceptionnel que populaire.
Ce choix peut paraître curieux, de la part d’un Fritz Lang qui vient d’enchaîner deux des films les plus importants du cinéma allemand des années 20 (Les Niebelungen et Metropolis). Déjà considéré comme le plus grand cinéaste du pays, Lang n’en est pas pour autant un homme libre : ses deux monuments n’ont pas connu le succès escompté, et ont tous deux battu des records de coût de production. Un double-constat qui n’est pas du goût de la UFA, la plus importante société de production de l’époque : conscient qu’il n’est pas à l’abri d’un renvoi, Lang se lance avec sa compagne dans un projet dont il sait qu’il sera rassurant pour tous…
De ce point de vue, Les Espions est bien une concession de la part du cinéaste. Mais le résultat est absolument exceptionnel, et n’a rien d’une œuvre de commande anonyme. Au contraire : on retrouve dans ce film de genre génial l’obsession de Lang pour le mouvement, la folie ou le mystère, thèmes qu’il ne cessera de décliner de film en film jusqu’à la fin de sa carrière.
Loin de constituer un carcan, les codes du film de genre (l’espionnage, ici) ont toujours donné à Lang l’occasion de laisser libre cours à son imagination, dépassant tout ce qui a été fait avant lui. Avec Les Espions, son inspiration est à son zénith. Visuellement, film est une splendeur : pas un plan qui ne soit pertinent et inattendu, pas la moindre image quelconque. Le film dure deux heures et demi, dans la moindre faute de goût.
Côté rythme, Lang en remontrerait à la quasi-totalité des cinéastes d’aujourd’hui. Alors qu’il a a priori le temps de planter son décor et de présenter ses personnages, le cinéaste nous happe littéralement dès les premières images : en trois minutes seulement, on assiste à un cambriolage, un attentat (extraordinaire plan en extérieur dans une voiture en pleine course), et au meurtre d’un policier… Après un tel début, on se dit que le rythme va ralentir, forcément.
Mais non : Thea Von Harbou et Fritz Lang ont concocté un scénario totalement abracadabrant, aux innombrables rebondissements. Un policier infiltré dans les bas-fonds (Willy Fritsch, l’une des stars du cinéma allemand de l’époque), un criminel machiavélique (Rudolf Klein-Rogge, de nouveau méconnaissable dans un rôle proche de Mabuse), un officier à la solde de l’ennemi, une espionne russe au grand cœur, un agent asiatique perdu par une tentatrice… Tous ces personnages (et bien d’autres) se croisent, se menacent ou se sauvent dans un vertigineux chassé-croisé, parsemé de moments de bravoure inoubliables.
Le point d’orgue du film est une catastrophe ferroviaire à couper le souffle. Durant de longues minutes, grâce à un montage alterné de plus en plus rapide, et à des inserts obsédants sur l’image, Lang fait monter le suspense jusqu’à un point rarement égalé… jusqu’à l’accident de train lui-même, filmé avec beaucoup d’économie et pourtant hyper spectaculaire. Cette longue séquence résume à elle seule la démarche de Lang : nous entraîner dans un grand-huit jouissif. C’est tellement bon…
2 commentaires »
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Je connais mal les polars allemands de Fritz Lang : votre article m’a donné envie de découvrir ce film au plus vite (je viens de l’avoir en cadeau, ça tombe vraiment bien …). Merci !
Allez-y les yeux fermés (c’est une façon de parler !), ce film est une merveille. Moi aussi je l’ai eu en cadeau, dans un beau coffret avec d’autres muets de Lang. A suivre, donc…