La Femme du Vème (The Woman in the Fifth) – de Pawel Pawlikowski – 2011
Un choc ! En adaptant le roman de Douglas Kennedy, Pawel Pawlikowski fait son entrée, d’emblée, dans la cour des grands cinéastes à suivre. De ces réalisateurs qui peuvent se permettre de laisser des tas de questions en suspens, tout en conduisant le spectateur exactement là où il le voulait. En l’occurrence, dans le cœur à vif et l’esprit foutraque de Ethan Hawke, Américain à Paris qui trimballe une douleur et des démons insondables.
Que s’est-il passé exactement dans la vie de cet homme à qui tout devrait sourire ? Auteur d’un unique roman salué unanimement, professeur d’université qui menait visiblement une vie très confortable, il débarque à Paris « pour rejoindre sa femme et sa fille», comme il l’annonce d’entrée à un douanier soupçonneux. Sauf que cette femme n’attendait pas ce mari, dont elle s’est séparée à la suite d’un épisode apparemment douloureux, qui a conduit à une décision d’éloignement de la part de la justice. Et que leur fille le croit en prison.
Quel est son problème ? Est-il schizophrène ? Sort-il réellement de prison, ou d’une maison de santé ? On n’aura jamais de réponse claire à ces questions. Une seule chose compte : Ethan Hawke va très mal, il lutte contre ses démons, et ne vit que dans l’espoir, que l’on sait chimérique, de retrouver ce qu’il a perdu : sa famille.
Mais à Paris, il est constamment ballotté entre le fantasme et la réalité, entre un Paris de carte postale (cette terrasse à la vue incroyable d’où on peut quasiment toucher le pied de la Tour Eiffel, symbole absolu d’un Paris de rêve aux yeux des Américains), et un Paris bien plus tangible : ce quartier populaire inquiétant dans lequel il se retrouve sans argent, sans papiers, sans vêtements, et où il s’installe dans le premier hôtel miteux.
Dans le premier Paris, il rencontre une femme, belle et étrange, dont l’élégance et le port paraissent d’un autre temps. C’est Kristin Scott-Thomas, apparition presque irréelle qui guide Ethan Hawke vers un semblant d’espoir de retrouver sa vie perdue.
Dans le second, notre écrivain côtoie une faune interpole qui le tire vers le bas. C’est le personnage le plus charnel du film qui résume le mieux le film, en racontant un rêve : « j’ai rêvé de vous, vous étiez un peintre et vous vous enfonciez de plus en plus profondément dans la boue ». C’est la serveuse du café-hôtel, une immigré incarnée par Joanna Kulig, jeune actrice polonaise pulpeuse et terriblement émouvante. Elle est LE personnage qui ancre le film dans la réalité, qui résume tout un pan du message de Pawlikowski : la réalité de Paris, quelque part entre l’espoir d’une vie meilleure, liée aux stéréotypes véhiculés notamment par le cinéma américain, et la froide désillusion des quartiers pauvres de la capitale. Ce tiraillement (ce double visage de la capitale) a-t-il déjà été mieux décrit que dans La Femme du Vème ? Pas sûr…
Dans ce film, la notion de réalité est d’ailleurs toujours contrebalancée par un doute. La rencontre avec Kristin Scott-Thomas n’est-elle pas trop belle pour être vraie ? Le « boulot » qu’Ethan Hawke accepte pour payer sa chambre n’est-il pas trop caricatural pour être authentique ? Il en va de même pour tous les ressors dramatiques a priori traditionnels du film : l’attente d’un nouveau roman de l’écrivain, la disparition de sa fille…
Tous les éléments qui semblent rapprocher La Femme du Vème d’un film de genre sont trompeurs. Tout ce qui semble vouloir apporter des réponses ne fait qu’accentuer le mystère. Mais qu’importe : plus les rebondissements deviennent nébuleux, plus le mystère s’épaissit, et plus la réalité du film devient flagrante. C’est le portrait intime (intérieur, même), d’un homme tiraillé entre ses rêves et ses démon ; un homme qui cherche simplement la meilleure manière de se dire que pour lui, le seul espoir est de trouver la paix intérieur, d’accepter la perte de son bonheur…
Pour porter un tel sujet, il fallait un grand acteur. Ethan Hawke est à la hauteur : vingt ans après Le Cercle des poètes disparus, le jeune ado mal dans sa peau semble toujours planer sur sa tête. Son interprétation, sensible et bouleversante, est inoubliable.
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