J. Edgar (id.) – de Clint Eastwood – 2011
De film en film, Eastwood trace son chemin avec une force tranquille et une cohérence qui forcent le respect. Depuis quelques films déjà (depuis sa « mort » dans Gran Torino, disons), on sent bien que les dernières velléités qu’il avait à donner au public ce qu’il attendait avaient totalement disparu. Son cinéma n’en est que plus passionnant, attachant, et unique dans le paysage actuel. Loin de toutes les modes, Eastwood fait le cinéma qu’il veut. Ni plus, ni moins. Et il le fait avec un classicisme qui frôle parfois l’académisme, mais qui ressuscite au final l’esprit des grands maîtres qui ont raccroché quand lui faisait de pénibles débuts devant la caméra, au milieu des années 50.
Avec J. Edgar, fresque colossale et pourtant intimiste, Eastwood renoue d’ailleurs une nouvelle fois avec une époque qui lui est chère. Car même si le film raconte l’histoire du FBI et de son créateur de 1919 à 1972, l’une des périodes charnières est bien l’Amérique de la Grande Dépression : ces années 30 qui lui avaient déjà inspiré deux de ses plus beaux films, Honkytonk Man et L’Echange (son film récent le plus sous-estimé). Une décennie qui fut celle de son enfance (il est né en 1930), mais aussi celle d’un cinéma qui continue à le nourrir, en particulier à travers James Cagney, acteur dont le parcours au cours de ces années d’avant-guerre illustre bien le chemin parcouru par Hoover.
Le parallèle est joliment montré dans le film : Hoover a définitivement réussi à imposer « son » FBI lorsque Cagney incarne enfin l’un de ces « G-Men » (les hommes du gouvernement), et non plus l’un de ces gangsters qui ont fait sa gloire. Bref : quand le peuple américain considère que les héros sont les agents du FBI, et plus les gangsters romantiques comme Dillinger, qui fut l’une des premières « proies » du « bureau ». Mine de rien, cette place donnée au cinéma dans le film d’Eastwood n’est pas anodine : elle illustre bien l’une des obsessions de Hoover, qui était son combat du bien contre le mal.
Le Bien étant la sécurité et la survie de l’Amérique, il lui fallait un Mal à la hauteur : les attentats « bolcheviks » de 1919 (un épisode méconnu de l’histoire américaine du XXème siècle, qu’Eastwood utilise avec intelligence) offrent au jeune Hoover à la fois un ennemi tangible, une mission quasi-sacrée, et un point de départ inespéré pour le projet d’agence gouvernementale dont il deviendra le père et l’âme maudite durant un demi-siècle. Ce Mal qu’il n’aura de cesse de retrouver au fil des décennies et des bouleversements politiques, sous les traits du « communiste », cette menace directe face à laquelle le crime organisé n’a que peu d’importance.
Sans jamais en rajouter, et avec une reconstitution historique d’un réalisme incroyable, c’est cette obsession d’une vie qu’Eastwood raconte dans cette biographie qui dépasse largement le cadre souvent réducteur et gonflant du biopic. J. Edgar est le portrait d’un homme habité et malade, passionné et manipulateur, ambitieux et complexé. Il offre aussi une vision éclairée et passionnante de la naissance du FBI, et à travers elle de la partie la plus controversée de l’histoire américaine, faite de mensonges, d’assassinats, de coups-bas et d’écoutes illégales.
Il vaut mieux avoir quelques connaissances de base de cette période pour bien apprécier le film : les allers-retours continuels entre les différentes époques ne facilitent pas vraiment les choses. Mais Eastwood choisit de mettre en avant quelques épisodes particulièrement fondateurs, comme l’enlèvement tragique du petit Lindbergh, ou le comportement « inapproprié » de Mme Roosevelt, qui illustrent efficacement les grandes étapes du FBI et de son patron historique.
Cette construction complexe, sous forme de puzzle, est l’un des aspects les plus réussis du film : mieux qu’avec un film chronologique, la complexité de Hoover s’enrichit de ces époques qui se répondent, dressant le portrait d’un homme qui, toute sa vie, a répondu aux mêmes obsessions. Eastwood présente un homme qui fut sans doute le plus puissant du monde, mais qui pourtant vivait la plus rangée et la plus monotone des vies, mangeant toujours au même endroit, avec la même personne, aimant séduire mais terrorisée par les femmes ou le sexe, et n’étant entouré que d’une poignée de personnes avec lesquelles il entretenait des rapports pour le moins ambigus.
Sa relation homosexuelle mais visiblement platonique avec son bras droit Clyde Tolson (joué par un Arnie Hammer tout en séduction trouble) ; celle avec une mère castratrice (Judi Dench) ; celle encore avec sa fidèle secrétaire (Naomi Watts) qu’il aurait pu épouser… La vie privée de ce « grand homme corrompu », selon Eastwood en tout cas, ne dépasse jamais le cadre de ce triangle qui tourne exclusivement autour de sa mission, son FBI.
Très inspiré, Eastwood signe son meilleur film depuis longtemps. Encore fallait-il trouver un interprète à la hauteur du rôle, monstrueux. Di Caprio, qui décidément ne cesse de gagner en épaisseur, est totalement à la hauteur de l’enjeu. Immense, sans jamais cabotiner, il se glisse dans la peau de Hoover sans le singer, et son interprétation est d’une force assez hallucinante. Plus encore que sous la direction de Scorsese (notamment pour Aviator, où il interprétait un Howard Hughes déjà très obsessionnels), l’ex-jeune premier de Titanic prouve qu’il est devenu l’un des très grands acteurs d’aujourd’hui.
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