Détour (Detour) – de Edgar G. Ulmer – 1945
C’est le film le plus célèbre d’Ulmer, mais aussi la quintessence du film noir. Qui mieux que l’anti-héros de Détour incarne mieux le poissard absolu qui, de Fred MacMurray dans Assurance sur la mort à Nicolas Cage dans Red Rock West, est au cœur de nombreux films du genre ? Pas de suspense : dès les premières images, montrant notre héros le visage hagard, visiblement résigné, battu, déjà mort… on sait que l’histoire se termine mal, et que ce personnage de pianiste fauché mais plein d’avenir, que l’on découvre alors dans un long flash-back, se dirige vers un destin fatal.
Le périple qu’il entreprend à travers le pays pour rejoindre sa fiancée à Los Angeles, lui sera fatal. Cette Amérique qui ressemble à celle des Raisins de la Colère, c’est en stop que le personnage (interprété par Tom Neal, déjà vu dans un épisode de la série L’Introuvable : Nick joue et gagne) veut la traverser. Et aller de New York à L.A. en autostop quand on est un homme, cela peut être très, très long. Et quand la chance semble enfin tourner pour lui, lorsqu’il tombe sur un automobiliste prêt à l’emmener jusqu’à la Côte Ouest, c’est en fait pour lui le début d’une série de malchances comme on en a rarement vu au cinéma…
L’automobiliste providentiel se transforme en ange maudit, lorsqu’il meurt pour une raison mystérieuse. En plein milieu de nulle part, Tom Neal prend la pire des décisions. Convaincu que personne ne croira la vérité, et qu’il sera inévitablement accusé de meurtre, il cache le cadavre et prend l’identité de son bienfaiteur, avant de reprendre la route… L’histoire aurait pu s’arrêter là, s’il ne proposait pas à une autostoppeuse de monter à ses côtés. Destin, encore… cette jeune femme reconnaît la voiture qui l’avait prise en stop quelque temps avant, et accuse aussitôt Tom Neal d’avoir tué le chauffeur, avant de le faire chanter… Et le coup de grâce, pour le personnage, n’est pas encore arrivé…
Allure de monsieur tout le monde, version un peu cheap de John Garfield (même colère renfermée, même propension à enchaîner les mauvaises décisions, que le héros du Facteur sonne toujours deux fois), Tom Neal trouve évidemment le rôle le plus marquant de sa vie. Il est excellent en pauvre type un peu lâche, victime idéale tyrannisée par une « vamp » incroyable, jouée par Ann Savage, la révélation du film. Visage ingrat, regard méchant, Ann Savage n’a rien en commun avec les Lana Turner ou Barbara Stanwyck qui peuplent les films noirs. Elle est une femme détestable que l’on prend plaisir à détester (comme on prend plaisir à la voir martyriser ce pauvre Tom Neal), mais qui cache une détresse et une solitude insondables. Son humanité effleure par moments, dans les rares moments où une issue heureuse paraît possible.
Mais l’illusion ne dure jamais bien longtemps. On est dans le noir absolu, et même le « héros » en a conscience dès les premiers instants. Pas d’issue possible à ce détour fatal, et génial.
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