Dans la brume électrique (In the Electric Mist) – de Bertrand Tavernier – 2008
Entre Bertrand Tavernier et l’Amérique, ça a toujours été une grande histoire d’amour. En tant que cinéphile, sa connaissance du cinéma américain est l’une des plus pointues qui soit (voir son blog passionnant, ou ses fascinantes rencontres avec quelques cinéastes réunies dans Amis Américains, un pavé de quelques milliers de pages à posséder absolument). Derrière la caméra, le cinéaste avait déjà rendu un bel hommage au jazz avec Autour de Minuit, et réussit une très belle adaptation d’un classique du roman noir américain avec Coup de torchon (où il transposait l’action du 1275 âmes de Jim Thompson dans l’Afrique coloniale, tout en en gardant intact l’esprit). Avec Dans la brume électrique, Tavernier va au bout de son rêve américain en adaptant de nouveau un classique du roman noir : un polar génial de James Lee Burke (Dans la brume électrique avec les soldats confédérés) mettant en scène son personnage fétiche.
Avec Tommy Lee Jones, Tavernier trouve le Dave Robichaux idéal. Ce flic humaniste, trimballant sa profonde tristesse et un regard abîmé par toutes les saloperies dont il a été témoin. Difficile d’imaginer un autre que lui incarner le héros de Burke. Jones est un grand acteur, on le sait depuis longtemps, mais ce rôle-là est l’aboutissement de tous les autres. Sa gueule cabossée fait merveille dans ce polar qui respecte toutes les règles du genre (une enquête bien menée, des fusillades, un suspense bien entretenu, de soudains accès de violence…) tout en s’en moquant allégrement.
Tavernier signe un film profondément américain, un magnifique cri d’amour à La Nouvelle Orléans de l’après-Katherina, ville envoûtante et inquiétante, havre d’une paix fragile construite sur les fantômes des horreurs passés. Robichaux est l’incarnation de cette complexité : un « faiseur de paix » hanté par le souvenir d’un lynchage de noir auquel il a assisté lorsqu’il était gamin, et dont la victime réapparaît presque par miracle quarante ans plus tard ; un homme conscient du mal et de la douleur qui servent de racine à cette ville, à ce pays. Ce n’est pas un hasard si le film donne la part belle aux soldats confédérés qui ont disparu du titre pour l’adaptation ciné, mais qui sont bien présents à l’écran. Les « rencontres » de Dave Robichaux et de ces fantômes qui hantent les marais où ils sont morts deux siècles plus tôt, donnent à ce faux polar une profondeur mystique, et un curieux sentiment de paix profonde. A chaque spectateur d’en faire ce qu’il veut, bien sûr…
Ces fantômes représentent-ils le profond lien de Robichaux avec cette terre et son histoire ? Symbolisent-ils la folie qui le guette après des années à ramasser des cadavres ? Lui-même se pose visiblement la question. Tiraillé entre le désespoir et l’apaisement, il est bouleversant. C’est aussi ce tiraillement constant qui fait du film une œuvre aussi unique, et aussi envoûtante.
Les seconds rôles sont également absolument tous formidables (John Goodman et la trop rare Mary Steenburgen en tête). Avec ce premier vrai film américain, le plus américanophile de nos réalisateurs français signe un vrai chef d’œuvre, sans doute son plus beau film. Curieusement, il enchaînera avec un film radicalement différent et profondément français : La Princesse de Montpensier.
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