Psychose (Psycho) – d’Alfred Hitchcock – 1960
Tout a été dit, souvent et bien, sur ce chef d’œuvre indépassable, l’un des films les plus commentés, les plus admirés, les plus copiés de l’histoire du cinéma : combien de classiques ont eu droit, comme Psycho, à quatre suites pas si mal (voir Psychose 2), un remake plan par plan, et des dizaines d’hommages ou parodies plus ou moins inspirées ? Alors forcément, tout cinéphile connaît par cœur le moindre plan du film, et peut s’imaginer sans difficulté l’enchaînement parfait de séquences toutes mythiques.
Dès les premières images : la caméra survolant Phoenix et pénétrant par la fenêtre dans une chambre d’hôtel où Janet Leigh, sculpturale, et John Gavin, sans grande envergure mais convaincant, viennent visiblement de consommer un amour clandestin. En les filmant presque nus, Hitchcock fait un pied de nez grandiose à la censure, avec laquelle il s’est battu tout au long de sa carrière, emportant bien souvent des victoires inattendues. Avec Psycho¸ il va plus loin que jamais, transgressant ostensiblement la plupart des tabous.
Hitchcock ne se moque d’ailleurs pas que de la censure : il transgresse également tous les codes narratifs, tous les codes et genres du cinéma. Film d’horreur, thriller ? Bien sûr, mais il faut attendre la fameuse scène de la douche, la musique stridente de Bernard Herrmann et ct inoubliable plan arrêté sur l’œil de Janet Leigh, pour que le vrai sujet du film se dévoile. Nous sommes alors à la moitié du film… Jusque là, on assiste à l’histoire, racontée à la première personne, d’une jeune femme qui se laisse tenter à dérober l’argent qui lui a été confié par son patron, et qui prend la fuite à travers le pays. Un road movie simple et passionnant, centré sur un personnage très attachant interprété par la star du film.
Sauf qu’avec cette fameuse séquence de douche, bien sûr, Hitchcock prend tout le monde à contre-pied et change radicalement le point de vue et le ton de son film. Il en change la star, aussi : aujourd’hui, pour tout le monde, Psychose c’est avant tout Anthony Perkins, jeune acteur qui trouve évidemment le rôle de sa vie. Un rôle miraculeux qui a paradoxalement détruit la carrière brillante qui s’ouvrait à lui. Hanté à jamais par le personnage de Norman Bates, il y reviendra même trente ans plus tard pour une série de suites évidemment très loin du film d’Hitchcock, mais pas sans qualités.
Personnage profondément attachant et d’autant plus déstabilisant, il est sans doute l’un des psychopathes les plus célèbres de l’histoire du cinéma. Ses rapports avec sa mère (je reste vague au cas où un internaute débarquerait de Mars et tomberait sur ce texte avant de voir le film) sont aussi l’une des clés de l’œuvre du cinéaste, peuplée de ces mères dévorantes.
Impossible de dire quoi que ce soit du film sans avoir l’impression de répéter ce qui a déjà été dit. J’ajouterai juste que la scène de l’escalier avec Arbogast est aussi traumatisante et virtuose que la scène de la douche ; que l’apparition du motard de la police vers le début du film est peut-être la plus brillante illustration de la « peur du gendarme » qu’on a pu voir ; ou encore que Hitchcock démontre définitivement avec une scène apparemment secondaire qu’il est bien le maître du suspense. Grâce à la seule magie de sa mise en scène (pas de musique dans cette scène), le spectateur retient son souffle lorsque le tueur tente de faire disparaître la voiture de sa victime dans un marais, et que la voiture refuse de s’enfoncer dans l’eau. Faire partager les émotions du « méchant » pour le seul plaisir de donner le frisson… c’est tout Hitchcock qui est résumé là.
Au sommet de sa gloire, de son art et de sa carrière, Hitchcock réussit aussi avec ce film le trait d’union parfait entre ses films et sa série TV. Après La Mort aux trousses, chef d’œuvre en cinémascope, road movie spectaculaire à travers l’Amérique, le cinéaste prend le contre-pied total, signant un petit budget en noir et blanc, sans grande star, et avec son équipe de Alfred Hitchcock présente. Résultat : un film exceptionnel, presque sans défaut.
Presque, parce qu’il y a quand même la toute dernière scène qui, pour être tout à fait honnête, gâche un peu le cauchemar ! Après avoir vu le film une demi-douzaine de fois (en l’aimant de plus en plus), je continue à me poser la question : pourquoi Hitchcock a-t-il gardé cette interminable tirade du psy qui explique lourdement ce qui se passe dans la tête de Norman Bates ? Le film aurait nettement gagné à s’arrêter cinq minutes plus tôt.
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