Les Quatre Fils (Four Sons) – de John Ford – 1928
Encore un chef d’œuvre, pour Ford, qui filme avec une inspiration inouïe ce mélodrame au cœur d’un charmant village de Bavière. En fait de drame champêtre, c’est un film profondément émouvant sur les ravages de la guerre que Ford nous propose ici. De la guerre, on ne verra d’ailleurs quasiment rien : uniquement une courte scène presque irréelle, baignée dans la brume de la campagne française. On ne perdra rien, par contre, des émotions de « maman » Bernle, mère aimante de quatre grands garçons, qui les verra partir l’un après l’autre pour le front.
Nous sommes en 1914, alors que « l’ancien monde », comme le définit un carton au début du film, vit ses dernières heures : des heures d’insouciance qui disparaissent d’un revers de la main, à l’image de la gifle que donne un officier autoritaire à Joseph, le plus insouciant des fils Bernle. Cette gifle n’est pas anodine : elle résume à elle seule ce qui attend ce village si paisible alors que la Grande Guerre est sur le point d’éclater. C’est aussi la perte de l’innocence qui est au cœur du film, à travers le quotidien de ce village si typique, presque caricatural ; Ford ne fera pas autre chose avec Qu’elle était verte ma vallée, autre chef d’œuvre pittoresque sur la perte de l’innocence.
La figure bonhomme et magnifique du facteur illustre joliment cette perte d’identité. Lui qui ouvre le film, silhouette joviale, grosses moustaches avenantes et sourire communicatif, heureux d’apporter des nouvelles qui, dans le vieux monde, ne peuvent être que bonnes… C’est lui aussi qui devra apporter ces sinistres lettres cernées de noir, qui annoncent à la population la perte d’un proche. Les habitants, jadis aussi soudés qu’une famille, voient avec soulagement et un brin d’égoïsme bien compréhensible passer ce messager de mort devant eux sans s’arrêter…
Le facteur, lui, a la silhouette qui se voûte et la démarche lourde, assommé par le poids de ses nouvelles. Maman Bernle symbolise à elle seule les pertes subies par tout un peuple : trois de ses fils mourront au front ; quant au quatrième, il sera considéré comme un traître parce qu’il est parti vivre en Amérique avant le conflit, et qu’il s’est battu contre l’Allemagne. Dur ? Oh, on pleure, bien sûr, devant le triste destin de cette mère aimante (qui n’a rien à « envier » à la mère du soldat Ryan !), mais Four Sons n’est pas un film sinistre, bien au contraire.
Femme forte et profondément bonne (jouée avec beaucoup de pudeur et d’émotion contenue par Margaret Mann), maman Bernle n’est pas du genre à se laisser abattre, remerciant Dieu « pour tous ses bienfaits », même après avoir perdu son plus jeune fils. On pourrait être agacés par cette ferveur absolue, mais non, c’est juste profondément émouvant.
Ford a aussi le bon goût de terminer son film sur un brusque changement de ton, qui évoque L’Aurore (et ce n’est sans doute pas un hasard : le chef d’œuvre de Murnau est sorti l’année précédente, et il semble certain que Ford a rencontré Murnau, tous deux travaillant alors pour la Fox), lorsque Maman Bernle arrive à New York, ville monstrueuse bien éloignée de la Bavière, où tout est possible, l’aliénation comme la renaissance.
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