Rio Grande (id.) – de John Ford – 1950
Après Le Massacre de Fort-Apache et La Charge héroïque, Ford boucle sa sublime trilogie de la cavalerie avec ce Rio Grande, nouvelle grande réussite même s’il s’agit incontestablement du plus faible des trois films. Plus encore que dans les deux films précédents, Ford se désintéresse clairement de la trame dramatique pour se concentrer sur ce qui fait tout le sel de cette trilogie unique : les hommes qui composent cette cavalerie qui le fascine visiblement, mais sur laquelle il pose un regard à la fois admiratif et respectueux, mais aussi parfois critique et ironique.
John Wayne est une nouvelle fois au cœur du film. Et une nouvelle fois, c’est un homme confronté aux horreurs de la guerre avec les Indiens, autant qu’à l’imbécillité de ses supérieurs, à qui il obéit aveuglement en dépit de tout. C’est ça la cavalerie : un sens du devoir et de l’obéissance qui doit dominer tout le reste… y compris la famille.
Le rôle des épouses de soldats avait été évoqué joliment, par quelques plans particulièrement marquants, dans Fort Apache… Il est ici au cœur de Rio Grande, à travers le beau personnage de Maureen O’Hara (qui donne pour la première fois la réplique à Wayne), mère désespérée qui a quitté son John Wayne de mari des années plus tôt après qu’il a brûlé leur propre maison sur les ordres de son supérieur (ah ben oui, il a le sens du devoir !), et qui vient aujourd’hui pour le convaincre de renvoyer à la vie civile leur fils, qui vient de s’enrôler après avoir raté le concours d’officier.
Incontestablement, l’alchimie est parfaite entre les deux acteurs (alchimie qui explosera littéralement deux ans plus tard avec L’Homme tranquille), dont toutes les confrontations sont baignées par un mélange d’animosité et d’attirance. On peut juste regretter que Ford n’ait pas exploré davantage cette dualité : très vite, on sent bien que le sens du devoir de Wayne va emporter les dernières réticences de la maternelle Maureen.
Dommage, mais c’est bien la seule réserve que je fais à ce film passionnant dans lequel John Wayne est une nouvelle fois épatant en héros fatigué par les longues chevauchées autant que par l’impuissance à laquelle le soumettent ses supérieurs.
Mais le film vaut avant tout pour ses nombreux moments en creux. Une chorale militaire qui chante une ballade irlandaise qui plonge soldats du rang et officiers dans une douce mélancolie… Un sous-off fort en gueule (incontournable Victor McLaglen, dans son avant-dernier rôle pour Ford, avant L’Homme tranquille) qui entraîne de jeunes recrues… Deux vieux de la vieille qui évoquent autour d’un café et à mots feutrés la bataille qui les a marqués bien des années plus tôt… Le regard inquiet de Wayne veillant sans en avoir l’air sur son rejeton… La complicité évidente entre Ben Johnson et Harry Carey Jr, duo que Ford venait de diriger dans Le Convoi des baves, son précédent chef d’œuvre.
Bref, un pur John Ford pas tout à fait aussi ambitieux que les précédents (visuellement, même, le noir et blanc de Rio Grande est bien moins spectaculaire que le technicolor sublime de La Charge héroïque). Mais c’est un bon Ford. Et un bon Ford, c’est un grand film…
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Malgré tout le bien qui en est légitimement dit, malgré le vibrant culte dans laquelle elle est tenue, la trilogie wayno-cavaleresque de Ford n’est décidément pas ce que je préfère dans l’œuvre du prolixe irlandais (œuvre que je maîtrise encore assez mal, ne connaissant par exemple pas fort sa frange non-westerneuse et pourtant ouvertement oscarisée (ce Rio Grande lui fut d’ailleurs « imposé » par H.J. Yates (avec un budget ridicule poussant Wayne à diviser son cachet par quatre) afin de sécuriser les pertes futures supposées de L’Homme Tranquille !).
Le fait que je ne sois touché que très modérément par les chroniques de garnisons, fussent-elles hautement humanistes, chaleureuses et picaresques (la marque du bonhomme, non ?), qu’elles soient fichtrement enrichies mêmes par de subtils écheveaux de ramifications familiales (les nobles moustachus doivent toujours lutter avec leur destin et leurs héroïques responsabilités mais aussi (surtout ?) composer avec épouses et marmots !), apportent une humble raison à cet odieux mésamour, chacun en conviendra.
Il m’est pourtant difficile de négliger un film avec ce grand nigaud de Ben Johnson (qui passera de Shoedsak à Spielberg en faisant de magnifiques haltes chez Ford (donc) et Peckinpah !) autant qu’il m’est quasiment impossible de ne pas sourire aux masques drôlatiquement bourrus de Victor McLagen (immense et indéboulonnable sergent de la trilogie late 40′s (et parfait incontournable Fordien)) ou de chipoter un métrage photographié par Bert Glennon (déjà responsable sur l’épatant Convoi des Braves).
Mais, plus encore que le souffle épique, les éparses bouffées d’envergures, les enjeux mythiques et altiers étranglant ici et là habituellement mon enthousiasme (plus encore que la garnisonnerie donc (assez plaisante je le concède une fois les jupons et les mains délicatement savonneuses d’O'Hara débarquées)) c’est de voir un Duke trop compréhensif, trop noble et irréprochable (offrant un héros à la sagesse trop lisse et paralysante, elle-même soutenue par trop de (bien paresseuses) ballades susurrées au coin du feu par des soldats fort dévoués (les pénibles et véridiques Sons of the Pionner) et prompts à balancer leurs émotions sur la table) se débattre mollement au coeur d’un script un peu lâche (entendez là « peu tendu »), pris trop rarement par des sursauts vivifiants ou des minutes sincèrement impactantes… mis en boîte tandis que le réalisateur avait sans doute la tête ailleurs (dans les alentours d’Inisfree ?)…
Tip top ce film !