The Ghost Writer (id.) – de Roman Polanski – 2010
Question du jour : la prison rend-elle les détenus meilleurs ? Pas sûr… Mais son séjour derrière les barreaux n’a pas gâché le talent de Roman Polanski, loin de là. C’est en prison que le cinéaste a monté Ghost Writer, et le résultat est absolument bluffant. Comme souvent lorsqu’il s’attaque au pur film de genre (je ne me lasse pas de Frantic), Polanski est à son meilleur avec ce thriller politique assez machiavélique, mais finalement très simple. Simpliste, même, rétorquent ses détracteurs, ce qui n’est pas tout à fait faux.
Il y a en tout cas la sensation d’une grande simplicité qui transparaît du film, ce qui est plutôt inattendu dans un thriller politique, genre largement porté sur les révélations à tiroirs, sur les fausses pistes et les faux semblants. Ici, personne n’est vraiment ce qu’il prétend être, c’est vrai, mais les masques tombent très vite.
On comprend vite, en tout cas, que le personnage principal, un « nègre » (l’expression anglaise, ghost writer, est nettement plus belle) appelé pour terminer l’autobiographie d’un ancien premier ministre britannique, s’est plongé dans la gueule du loup, et qu’il ne peut vraiment faire confiance à personne. Le film repose sur le suspense qui découle de cette situation, et sur l’intelligence extrême de la mise en scène. Plutôt économe en dialogues, le film devient génial grâce au sens exceptionnel de la narration du cinéaste.
Le film commence d’une manière aussi originale que brillante : un ferry qui se vide peu à peu de ses passagers. Seule reste une voiture abandonnée… Il n’en faut pas plus pour comprendre que son propriétaire est mort, sans doute balancé par-dessus bord pendant la traversée. La séquence est totalement muette, mais on en apprend énormément. Mieux : cette première scène trouvera un écho terrifiant vers la fin du film, lorsque le héros fera la même traversée.
Cette victime est justement le premier écrivain appelé à travailler sur la bio de l’ancien premier ministre. C’est pour le remplacer que le nouveau nègre est engagé. C’est Ewan McGregor, acteur de plus en plus puissant qui joue formidablement bien cet écrivaillon sans grande envergure qui réalise peu à peu que le secret qu’a découvert son prédécesseur a de quoi faire vaciller tout un pan de la politique britannique, et qu’il pourrait accessoirement lui coûter la vie…
Quel est ce secret ? On s’en fiche un peu : Polanski nous fait le coup du macguffin cher à Hitchcock, dans ce qui est d’ailleurs le plus hitchcockien de ses films depuis Frantic. Ce qui compte ici, c’est le pur suspense, et l’élégance extrême de la mise en scène. Très inspiré, Polanski filme son personnage principal dans un enfermement grandissant à plusieurs niveaux. Géographique, d’abord : l’histoire se passe en grande partie sur une île presque déserte au lare de Boston, dans une immense maison dépouillée et froide. Et puis morale : McGregor n’a personne à qui parler, personne en qui croire : la seule personne « neutre » qu’il rencontre est un vieillard qui ne semble plus avoir toute sa tête (apparition brève mais sympathique d’Eli Wallach, still here).
McGregor est de toutes les scènes, et porte littéralement le film sur ses épaules. Mais Pierce Brosnan est là, lui aussi. Dans le rôle (assez bref en terme d’apparition à l’écran) de l’ancien premier ministre, il est excellent, portrait fascinant d’un homme qui fut très puissant et qui passe désormais des journées d’une vacuité extrême, isolé avec sa dernière garde rapprochée aux antipodes de l’hyperactivité de Londres. C’est aussi ça le sujet du film, en tout cas dans sa première partie, moins flippante, mais aussi passionnante : comment un homme aussi important peut-il réapprendre à vivre « normalement ». La réponse, ici, n’est guère optimiste.
The Ghost Writer est un chef d’œuvre, d’une richesse sans doute infinie. Mais on peut le voir aussi comme un pur film de genre, l’œuvre d’un cinéaste exceptionnel. Le film est émaillé de scènes à couper le souffle, à la fois d’une grande efficacité, d’une grande intelligence (Polanski est peut-être le premier à utiliser le gps intelligemment pour une longue scène de suspense), et d’une grande élégance. Jusqu’à la toute dernière séquence, que je ne dévoilerai pas ici, mais qui porte la marque d’un très grand cinéaste, sur de son savoir-faire. Décidément très hitchcockien.
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