Un Crime – de Jacques Deray – 1992
Le tandem Delon/Deray, c’est sept films tournés entre 1968 (La Piscine) et 1980 (Trois hommes à abattre) ; et dans le lot, pas grand-chose à jeter. C’est aussi un retour raté, tenté au début des années 90, alors que les deux hommes cherchaient un nouveau souffle : ni cette adaptation d’un roman de Gilles Perrault, ni celle d’un Simenon (L’Ours en peluche) tournée l’année suivante ne rencontreront le succès escompté. Et en quelques sorte, on peut dire que ces deux films constituent la fin de leurs carrières à tous les deux. Parce que Deray ne tournera plus rien après 1993, et parce que Delon n’apparaîtra plus que dans des films qu’il préférera oublier (Le Jour et la nuit, de BHL, vous vous souvenez ?) ou dans d’autres dans lesquels il se parodiera (1 chance sur 2 ou le troisième Astérix).
Beaucoup se réjouissent de cette fin de carrière prématurée, mais j’ai tendance à y voir un petit gâchis. Après avoir perdu quasiment toutes les années 80 avec des films d’action qui étaient de simples merdes à l’époque, mais qui sont devenues des merdes datées aujourd’hui, Delon devenait soudain plus intéressant, le visage marqué par le temps, plus sobre qu’autrefois. C’est un peu le syndrome Eastwood qui, en tant qu’acteur, est devenu plus fascinant à peu près à la même époque. Sauf que Delon, lui, était allé bien trop loin dans la suffisance et l’auto-parodie involontaire, que le public s’était lassé, et que logiquement il n’a pas suivi. Dommage.
Non pas, d’ailleurs, que Un crime soit un grand film. Il a un côté statique et ne décolle vraiment que dans le dernier tiers, durant lequel la tension monte vite et haut, mais trop tardivement. Et le personnage interprété par Manuel Blanc est trop mal défini, caricatural, et jamais vraiment crédible (jusqu’au dernier tiers, du moins). Mais celui de Delon, lui, est fort et intéressant : ce grand avocat gouverné par de grandes valeurs, qui obtient l’acquittement de son client, convaincu qu’il n’a pas tué ses parents « parce que je l’aurais vu dans ses yeux. On ne peut pas être aussi sensible et commettre un crime aussi odieux » clame-t-il. Mais la stature de l’avocat va trembler lorsque son client (Blanc, donc), aussitôt acquitté, lui affirme qu’il a bel et bien tué ses parents. S’ensuit un long huis-clos, face à face tantôt tendu, tantôt déroutant, entre l’avocat et son ancien client.
Le meilleur dans le film, ce n’est ni ce mystère dont on devine assez tôt les grandes lignes, ni la mise en scène élégante de Deray. Non, c’est Delon lui-même, passionnant lorsqu’il laisse transparaître ses fêlures et ses doutes. A ces moments-là, il rappelle quel grand acteur il peut être, lorsqu’il est bien dirigé. Lorsque Deray le laisse aller à sa grandiloquence, lorsqu’il le laisse défaire son nœud de cravate pour le refaire aussitôt après (si, si), lorsqu’il arpente l’appartement avec de grands gestes, une voix qui porte, et l’air d’avoir inventé le métier d’acteur, là, par contre…