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Archive pour le 14 septembre, 2011

Le Cheval de fer (The Iron Horse) – de John Ford – 1924

Posté : 14 septembre, 2011 @ 9:38 dans 1920-1929, FILMS MUETS, FORD John, WESTERNS | Pas de commentaires »

Le Cheval de fer

En 1924, John Ford est un jeune cinéaste de tout juste 30 ans qui s’est déjà taillé une belle réputation en dirigeant des stars de l’époque comme Harry Carey ou Tom Mix, lorsque la Fox lui confie les rênes de cette très grosse production. C’est l’époque de la démesure et de la surenchère à Hollywood, où les producteurs n’hésitent pas à engager des milliers de figurants pour une seule scène, où des villes entières peuvent être construites, où un Douglas Fairbanks « bigger than life », fantasme préféré de l’Amérique, triomphe dans d’immenses productions comme Le Voleur de Bagdad, de Raoul Walsh.

C’est d’ailleurs pour répondre à La Caravane vers l’Ouest, première méga-production westernienne que James Cruze réalisait alors pour la Paramount, que William Fox a lancé le projet du Cheval de Fer, grande fresque sur la construction du premier chemin de fer traversant toute l’Amérique, de l’Atlantique au Pacifique. Confier ce projet gigantesque à un réalisateur aussi jeune que Ford était un pari (même si le cinéaste a déjà plusieurs dizaines de films à son actif). Pari réussi, puisque le film a rapporté plus de 2 millions de dollars (énorme pour l’époque, et pour un budget 5 à 7 fois inférieur selon les sources), et qu’il a définitivement assis la réputation de Ford.

Chef d’œuvre impressionnant, le film répond à de multiples ambitions : il fait revivre avec beaucoup de réalisme le quotidien de ces pionniers, tout en racontant une histoire de vengeance et d’amour, et en évoquant le symbole que ce chantier représente pour l’unification d’un pays encore marqué par la Guerre Civile. Ford en profite d’ailleurs pour mettre en scène Lincoln, dans quelques belles séquences qui marquent profondément les esprits. Lincoln, d’ailleurs, reviendra régulièrement dans la filmographie de Ford, personnage central de Vers sa destinée, et martyr d’une nation réunifiée hantant Je n’ai pas tué Lincoln.

Bien avant de signer le traité décidant la construction du chemin de fer, dans une scène centrale du film, Lincoln apparaît dans la séquence d’ouverture. Alors qu’il n’est qu’un avocat de province, il pose un regard plein de bienveillance sur les deux personnages principaux du film, qui ne sont encore que des enfants, et dont il pressent visiblement les sentiments naissants, et le rôle qu’ils joueront dans son grand projet…

Davy et Miriam ont grandi dans la même petite ville. Mais après leur rencontre avec le futur président, leurs trajectoires se séparent. Lui est le fils d’un homme qui croît en la construction d’une ligne reliant les deux océans ; elle est la fille d’un industriel septique, persuadé qu’il s’agit d’une hérésie. Davy et son père partent pour l’Ouest, afin de trouver un passage pour le futur chemin de fer. Mais une nuit, le garçon assiste à la mort de son père, massacré par des Indiens menés par un blanc, dont il ne voit que la main mutilée. Les années passent. Lincoln décide la construction du chemin de fer et confie le chantier à deux compagnies, dont l’une est dirigée par le père de Miriam. Un jour, Davy réapparaît et entre à son service. Mais Miriam est fiancée à un homme qui complote avec un mystérieux propriétaire de terres pour faire fortune…

Difficile de dire ce qui est le plus réussi dans le film. L’histoire d’amour, même si elle est un peu attendue, apporte une touche de légèreté grâce au charme indolent de George O’Brien, que Ford dirige pour la première fois, et qui sera également le héros de Trois sublimes canailles, et l’un des acteurs réguliers du cinéaste. Quant à la force symbolique de l’histoire, sur un pays qui se retrouve, elle est immense. Mais c’est surtout la reconstitution du chantier qui est purement extraordinaire. Sa grande force est de passer par de nombreux détails qui nous plongent au cœur du film, et nous font sentir l’odeur de la poussière et de l’alcool qui, bien sûr, coule à flot.

Grands espaces hostiles, attaques d’Indiens, bagarres, fusillades, cavalcades… La caméra est toujours au cœur de l’action. Mais la séquence la plus impressionnante est peut-être celle où toute une ville déménage : au fur et à mesure que le chantier avance, la ville qui sert de base à cette société constituée par les ouvriers et tous ceux qui gravitent autour doit se déplacer ; et ce sont des milliers de personnes qui emmènent leurs objets personnels, leurs animaux, et leurs maisons en pièces détachées, ne laissant que quelques débris… et les corps enterrés de ceux qui n’ont pas survécu.

Avec ce film, qui est sans doute le plus ambitieux dans son ampleur, Ford aborde à peu près tous les thèmes qui caractériseront ses grands films à venir : l’amitié virile (notamment celle de trois hommes qui évoquent les Trois sublimes canailles avant l’heure – l’un d’eux est d’ailleurs interprété par J. Farrel MacDonald) ; la justice balbutiante d’un pays encore jeune, rendue dans un saloon (on pense évidemment au juge Roy Bean, mais aussi à Judge Priest de Ford) ; la vengeance à travers les années (La Prisonnière du Désert n’est pas si loin…) ; le deuil (avec une belle scène sur une tombe, qui évoque… à peu près tous les films de Ford)… Sous la forme d’ébauches ? Même pas… Ford signe sa première très grosse production avec une aisance confondante (comme il passera du muet au parlent sans problème). Grand cinéaste il était, grand cinéaste il est, grand cinéaste il sera.

 

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