The Manxman (id.) – d’Alfred Hitchcock – 1929
Dernier film muet d’Hitchcock, The Manxman est aussi le plus beau. Aussi important que The Lodger (qui marquait la naissance du style-Hictchcock), The Manxman est aussi bien plus atypique dans la filmographie du jeune maître, qui signe là son seul vrai mélo, un triangle amoureux sur le fond, mais d’une beauté tout bonnement sidérante. Tourné dans les décors naturels, et sublimes, de l’île de Man (comme le titre l’indique), le film est d’un dépouillement étonnant : le jeune Hitch évite soigneusement tout rebondissement spectaculaire, ou toute tentation grand-guignol, et reste constamment dans la note juste en se focalisant exclusivement sur son trio.
Malgré le sentiment de révolte qui plane chez les pêcheurs, tout commence dans une grande insouciance, avec deux amis d’enfance qui aiment à se retrouver malgré les chemins différents qu’ils ont pris : l’un est un simple pêcheur, l’autre un avocat promis à un grand avenir. Le premier séduit la jolie fille d’un aubergiste… dont le second est secrètement amoureux. Lorsque le premier part faire fortune en Afrique, la jeune femme promet de l’attendre. Mais elle aussi est amoureuse de l’avocat, et lorsque les deux jeunes gens apprennent que leur ami est mort, ils laissent éclater leur amour. Mais leur ami n’est pas mort, et revient bientôt sur l’île…
La jeune femme n’a rien d’une femme fatale. Rien, non plus, de l’innocence absolue de certaines héroïnes hitchcockienne à venir (Joan Fontaine, en particulier). C’est une femme un peu frivole et inconséquente, rattrapée par la complexité de l’amour. C’est Anny Ondra, première blonde hitchcockienne, et l’une des plus belles (allez, je me lance : « la » plus belle), qu’Hitchcock retrouvera pour Chantage. Mais l’accent de cette actrice tchécoslovaque était bien trop marqué pour faire carrière à Hollywood (dans Chantage, Joan Barry la double). Ses deux films hitchcockiens sont donc, hélas, à peu près tout ce qu’on connaît de sa carrière. Dommage : le seul plan dans lequel tombe l’innocence de la balle, après que le pêcheur lui ait déclaré sa flamme est magnifique (un plan fixe dépouillé d’Anny Ondra, face caméra, devant le cadre de sa fenêtre, la nuit étant balayée par le faisceau du phare)…
Quant aux deux amis du film, joués par Carl Brisson (le héros de The Ring, le précédent chef d’œuvre de Hitchcock) et Malcolm Keene, leur relation illustre bien le parti-pris de Hitchcock pour ce film : leur affrontement, tant attendu, n’aura jamais lieu. Les sentiments qui unissent ces trois personnages sont plus forts que tous les ressentiments. Il s’en dégage une profonde nostalgie, résumée (douloureusement) par un dernier plan sublime. Le destin était en marche dès les premières images, et personne n’y échappe.