Moon over Harlem (id.) – de Edgar G. Ulmer – 1939
Le triomphe de Black Cat, cinq ans plus tôt, a profité à ses deux stars, Bela Lugosi et surtout Boris Karloff, mais curieusement pas à son réalisateur, qui sera cantonné dans les années à venir, et jusqu’au succès de Barbe-Bleue et Détour, à la réalisation de films « communautaires ». Ulmer enchaîne ainsi des films tournés en ukrainien ou en yiddish, et des documentaires à vocation sanitaire (notamment Goodbye Mr. Germ, court métrage pour sensibiliser le public contre la tuberculose).
C’est dans ce contexte qu’il signe ce Moon over Harlem, petite production par, pour et avec des noirs. A l’époque, la ségrégation raciale est encore bien installée, et le public noir n’est pas admis dans certains cinémas, au Sud. Il existe alors (et bien avant la fameuse blaxploitation des années 70) une production spécialement conçue pour le public noir. Moon over Harlem fait partie de cette production qui peut nous sembler totalement hallucinante.
La stature du réalisateur fait même du film l’un des plus prestigieux de cette production, tombée dans sa grande majorité dans un oubli total. Le film, d’ailleurs, ne manque pas de qualité. La première d’entre elles est sans doute d’être un film comme un autre : le fait que la quasi-totalité de la distribution soit noire ne change en effet rien à l’histoire. Ulmer évite soigneusement tous les stéréotypes, et le film n’est pas plus « communautaire » que si tous les acteurs étaient blancs.
L’histoire est assez sordide. Elle commence pendant un mariage, alors qu’une femme de ménage épouse un homme qu’elle croit honnête, mais qui est en fait l’un des gangsters qui tiennent le quartier (Harlem, donc) sous leur coupe. Pire : le gangster n’épouse cette femme pleine de courage que pour être proche de la fille de cette dernière, une charmante jeune femme amoureuse d’un leader, qui rêve de faire de Harlem un quartier égalitaire où il ferait bon vivre. Autant dire que l’affrontement entre le beau-père et le fiancé s’annonce tendu, et violent.
Mais Moon over Harlem est un film de caractères, et pas un thriller : Ulmer évite soigneusement le face-à-face, pourtant inévitable, entre les deux hommes. Il évite aussi, dans une séquence d’une grande cruauté, à la mère, qui a pris position pour son mari contre sa fille, de réaliser sa terrible erreur. C’est une autre des grandes forces du film : priver le spectateur des scènes qu’il attend avec le plus d’évidence. Ce pourrait être frustrant, mais non : ces scènes qui n’existent pas contribuent à la force du film.
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