The Human Factor / La Guerre des Otages (The Human Factor) – d’Otto Preminger – 1979
Ce qui frappe d’emblée dans l’ultime film d’Otto Preminger, c’est un sentiment de laideur quotidienne. Le réalisateur du sublime Laura filme ici sans la moindre esthétisation une Angleterre dénuée de tout pittoresque, et des personnages sans charme ni joie de vivre, menant une existence rangée à l’extrême. A l’image du « héros » du film, quadra ennuyeux travaillant à Londres mais prenant chaque soir le même train pour rentrer, à la même heure, dans son petit pavillon de province semblable à des dizaines d’autres.
Ce petit employé de bureau sans histoire, parfaitement interprété par Nicol Williamson, est pourtant un agent secret, au pays de James Bond. Mais on est très, très loin du héros de Ian Fleming. Ni gadget, ni course-poursuite, ni James Bond Girl… pas même de méchant dans ce qui est pourtant un vrai film d’espionnage : ici, la menace est interne, sournoise, absurde, et totalement inhumaine.
En ne cherchant à enjoliver ni les situations, ni les personnages, ni les images, Preminger a signé l’un des meilleurs films sur la guerre froide. Un film qui, l’air de ne pas y toucher, pointe du doigt les horreurs domestiques de cette guerre sans véritable ennemi, où la défense du pays est assurée par une poignée de bureaucrates (dont un « médecin » adipeux joué par l’imposant Robert Morley), réglant entre une partie de chasse grotesque et un banal rasage dans une salle de bain impersonnelle le sort d’êtres humains peut-être innocents.
La vie de Maurice Castle est donc parfaitement rangée : ancien agent de terrain, il a vécu des années à l’étranger pour le compte du Foreign Office. Notamment en Afrique, où il a rencontré une jeune maman menacée de mort, qu’il a épousée et qu’il a ramenée (ainsi que son fils) dans sa petite banlieue sans vie. Elle est d’ailleurs la seule couleur dans cette grisaille ambiante. Cette épouse noire sort Maurice Castle du modèle formaté auquel il semblait appartenir. Mais elle le transforme aussi en suspect idéal lorsque ses supérieurs soupçonnent la présence d’un agent double dans les rangs du Foreign Office.
Dès lors, sa vie bien rangée perd tous ses repères, et la menace se fait de plus en plus pressante, et oppressante. Le film aussi devient plus oppressant. Parce qu’il nous plonge dans le quotidien et dans l’intimité de cet agent si banal, Preminger nous fait partager son angoisse grandissante, jusqu’à atteindre un paroxysme inoubliable dans une cave miteuse, par un coup de téléphone banal mais tragique.
The Human Factor est un grand Preminger, resté inédit jusqu’à très récemment en France. C’est aussi l’une des meilleures adaptations d’un roman du grand Graham Greene.
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