The Social Network (id.) – de David Fincher – 2010
Il en a fait du chemin, Fincher, depuis Alien 3. Sans réelle faute de goût (bon, Panic Room, quand même…), le réalisateur de Seven n’a jamais cessé de brouiller les pistes, changeant continuellement de genre, souvent avec une inspiration qui semble sans bornes. Pourtant, il y a quelque chose de typiquement Fincherien dans chacun de ses films, un fil conducteur dont on a du mal à définir la teneur exacte, mais que l’on ressent intensément.
Avec The Social Network, un film qui n’a a priori rien à voir (mais alors rien du tout) avec l’enquête sans fin de Zodiac ou la vie à l’envers de Benjamin Button (ses deux précédents films), ce fil conducteur saute aux yeux. Il est double, en fait. D’un point de vue formel, le « style Fincher » est un mélange de plus en plus heureux au fil des films entre une virtuosité toute clipesque (Fincher a été découvert grâce à ses clips), et le classicisme le plus pur : film après film, Fincher se débarrasse des tics et boursouflures qui plombaient un peu Fight Club et Panic Room, et met totalement son style éblouissant au service de l’histoire.
Et puis il y a le vrai thème central de Social Network, qui pourrait être celui de tous les films de Fincher depuis Alien 3 : la solitude, immense, plombante, aliénante (mouais…) des personnages. A voir ce film consacré à la naissance de Facebook, histoire dont, a priori, je me contrefous totalement, cette solitude absolue saute aux yeux, et prend aux tripes, laissant un sentiment de malaise comme on en ressent que rarement au cinéma.
Le personnage principal, ici, c’est Mark Zuckerberg, le plus jeune milliardaire de l’histoire, le jeune étudiant de Harvard qui a créé Facebook il y a sept ans seulement, et qui a révolutionné les rapports humains, donnant une dimension inédite à la notion de vie privée, de respect de l’autre, et d’amitié. On comprend bien ce qui a attiré Fincher dans cette histoire : le paradoxe qui existe entre un réseau social dont les membres font la course aux « amis », affichant fièrement et sans retenue les photos et les moindres détails de la « vie sociale », et son créateur, sorte d’autiste brillant, incapable lui-même d’avoir une relation stable avec qui que ce soit, et qui finit par trahir de la manière la plus froide qui soit le seul ami qu’il ait jamais eu…
Mark Zuckerberg (à qui Jesse Eisenberg apporte toutes les nuances nécessaires) est-il un monstre calculateur et dénué de toute moralité ? Est-il simplement incapable de montrer ses sentiments ? Fincher ne tranche pas, et sème encore plus le trouble en laissant entendre sans erreur possible que l’argent n’est pas le moteur de Zuckerberg, pas plus maintenant qu’il est milliardaire que lorsqu’il était un étudiant sans le sou. Quel est donc le moteur de ce jeune homme sans allure, mais à l’intelligence impressionnante et dévorante ? La question hante le spectateur alors que le générique défile. Une chose est sûre : si Zuckerberg a gagné le pouvoir, il n’a fait que renforcer sa profonde solitude…
La construction du film est brillante. Des jumeaux à qui il aurait volé l’idée de Facebook, et son meilleur ami dont il s’est débarrassé un peu abusivement, réclament de grandes sommes d’argent à Zuckerberg, qui doit raconter les premiers mois de la création du site. Et les débuts sont pour le moins dégueulasses : à l’automne 2003, alors qu’il vient de se faire plaquer, Zuckerberg, pinté, se met à insulter son ex sur son blog, tout en créant une sorte de base de donnée incitant les étudiants à comparer et classer toutes les filles du campus. Le succès est immédiat, et sans précédent.
Fincher n’a apparemment pas un amour immodéré pour Facebook, dont il dévoile les coulisses sordides. Mais ce n’est pas ça qui l’intéresse : c’est ce tout jeune homme qui arrive au sommet du monde, sans y avoir vraiment rien gagné. La fin de l’histoire, bien sûr, reste à écrire.
• Curieux hasard : alors que j’écris ces lignes, Social Network décroche le César du meilleur film étranger. Fincher doit être rudement content, non ?
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