Le Fils du Pendu (Moonrise) – de Frank Borzage – 1948
De l’immense Borzage, on connaît surtout ses grands films des années 30 et ses chef d’œuvres muets (a-t-on fait plus beau que L’Heure suprême de toute l’histoire du cinéma ?). Mais jusqu’au bout, borzaigui (c’est comme ça qu’il faut dire, paraît-il) a été un cinéaste passionnant. Et ce Moonrise n’est pas loin d’être le bout de sa carrière : son échec cuisant et sans appel y a mis un terme presque définitif. Il faudra attendre sept ans pour qu’il fasse un timide retour par la case télévision, et il ne signera plus, officiellement, que deux longs métrages.
L’échec de Moonrise est évidemment profondément injuste, injustice que la postérité s’est chargée de réparer en partie : le film fait désormais l’objet d’un petit culte auprès des cinéphiles. Parce qu’il est brillant, bien sûr, mais aussi parce que c’est l’ultime très grand film de l’un des plus grands cinéastes du monde. Echec injuste, donc, mais qu’on peut facilement comprendre, tant Borzage évite consciencieusement les chemins balisés.
Moonrise est en effet un pur cheminement mental : tout le film se concentre sur l’état d’esprit du « héros », interprété par le sympa-mais-sans-plus Dane Clark. Fils d’un homme pendu pour avoir tué le médecin ayant laissé mourir sa femme, ce jeune homme vit depuis son enfance dans l’ombre envahissante de ce père pendu. Mis au ban de la société, par les autres autant que par lui-même, il se sent marqué par la malédiction du pendu. Lorsqu’il tue accidentellement un homme (Lloyd Bridges, dans un tout petit rôle marquant), il croit être rattrapé par son destin.
Pour le spectateur, il n’y a guère de suspense dans cette histoire : on sait bien vite que notre héros sera démasqué. Mais ce que Borzage filme ici, c’est le cerveau en ébullition de ce « fils du pendu », rongé par la culpabilité, persuadé d’avoir une nature de criminel, et oppressé par les regards scrutateurs de cette petite ville de province dans laquelle il vit. Il faudra l’amour d’une jeune institutrice, l’amitié d’un vieux noir vivant en reclus dans les marais et d’un sourd-muet considéré comme un attardé (deux laissés pour compte de cette petite communauté), et la clairvoyance d’un shérif aux airs de bouseux limité, pour que le « criminel » montre enfin son vrai visage : celui d’un homme bon, victime des circonstances.
Le film est d’une intelligence assez rare. Il est aussi visuellement éblouissant, et dès la première séquence : une caméra virtuose, cadrant les pieds, nous montre un homme conduit à l’échafaud. Fondu-enchaîné : l’ombre d’un pendu semble planer sur le lit d’un petit enfant… En quelques plans muets, Borzage a installé le socle de son film. C’est tout simplement magnifique.
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