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Le Sixième Sens (Manhunter) – de Michael Mann – 1986

Classé dans : * Thrillers US (1980-…),1980-1989,MANN Michael — 17 février, 2011 @ 14:24

Le Sixième Sens (Manhunter) - de Michael Mann - 1986 dans * Thrillers US (1980-…) le-sixieme-sens

Chez Michael Mann, le bonheur est bleu et sent bon l’iode. Dans tous ses films, ou presque, les personnages trouvent la paix dans des maisons aux larges baies donnant sur la mer, baignées dans une lumière bleutée qui contribue à la quiétude des lieues. C’est le cas dans Heat, Collateral ou Miami Vice. C’était déjà vrai dans ce Manhunter qu’on a trop vite oublié, enterré par la réussite du Silence des Agneaux cinq ans plus tard. Quel rapport, me direz-vous ? Ce premier bijou noir de Mann est l’adaptation de Dragon Rouge, le premier roman de Thomas Harris dans lequel apparaît un certain Hannibal Lecter (Lektor, dans le film). Le succès du Silence des Agneaux et de sa suite, Hannibal, poussera d’ailleurs feu Dino de Laurentiis à produire une seconde adaptation de Dragon Rouge, éponyme cette fois, et avec Anthony Hopkins dans le rôle du médecin cannibale. Franchement, il n’y a pas à hésiter : autant Dragon Rouge, le film, est grotesque et aussi vite vu qu’oublié ; autant Manhunter est une œuvre profondément marquante.

Pas parfaite, non. D’un point de vue narratif, on sent Mann encore un peu approximatif, parfois. Mais esthétiquement, son univers est déjà bien en place. Et le cinéaste a un talent fou pour créer une atmosphère, en quelques secondes seulement. Dès le premier plan, magnifiquement composé, on comprend que le calme de se bord de mer sera rapidement troublé. Que cet ami (Dennis Farrina dans le rôle de Jack Crawford, que reprendra Scott Glenn dans le film de Jonathan Demme) vient mettre un terme à la retraite du héros. Avant même que la première parole soit prononcée, ce simple plan suffit à instiller ce sentiment d’angoisse qui ne retombera pas…

Le héros, c’est William Petersen (le flic du culte Police Fédéral Los Angeles de Friedkin, et le Gil Grissom des Experts), acteur au charisme trop peu exploité au cinéma. Son personnage, Will Graham, est le meilleur profiler du FBI, celui qui a permis l’arrestation d’Hannibal Lecter trois ans plus tôt, et qui a failli y laisser sa peau. Depuis, il a démissionné, mais les meurtres sauvages de deux familles sans histoire le poussent à reprendre du service.

Il y a un plan, qui n’a l’air de rien, mais qui résume bien le parti-pris du film (qui ne sera pas celui de Demme pour Le Silence des Agneaux). Lorsque Crawford tend les photos des victimes à Graham, celui-ci marque une pause avant de les regarder, se préparant à replonger dans l’horreur. On pense alors que les photos que l’on va voir sont celles des corps mutilés. Mais non, ce sont de simples photos de familles heureuses… Et c’est bien pire : ces images hantent le spectateur, et Graham, qui ne peuvent qu’imaginer leurs derniers instants. Mann prouve que la surenchère gore n’est pas l’outil le plus terrifiant qui soit, pour un vrai réalisateur.

Grand cinéaste visuel, Mann signe un film très peu bavard, incarné par des comédiens qui ne sont jamais aussi bon que dans les silences. Non pas qu’ils soient limités dans les dialogues, remarquez. Mais l’écriture visuelle du film est sans doute plus maîtrisée que l’écriture des scènes dialoguées. William Petersen apporte profondeur et douleur à un personnage qui en finit par être dérangeant, tant il s’identifie au tueur en série qu’il poursuit. A l’inverse, ce tueur, aussi horrible soit-il, devient touchant, tant on ressent ses fêlures. L’imposant Tom Noonan lui apporte une humanité inattendue, qui provoque un profond malaise…

La distribution du film est assez exceptionnelle, puisqu’on retrouve aussi Joan Allen en jeune aveugle qui attendrit le cœur de notre tueur (c’est son premier rôle important), Stephen Lang en journaliste dégueulasse, et Brian Cox dans le rôle d’Hannibal. Mais il faut bien l’admettre : sa prestation souffre énormément de la comparaison a posteriori avec l’interprétation qu’en fera Anthony Hopkins.

C’est bien le seul bémol que l’on puisse faire à ce film qui, malgré une musique très datée « années 80″ (un peu trop présente par moments), soutient largement la comparaison avec Le Silence des Agneaux. Il serait peut-être temps de mettre enfin ce Manhunter à la place qu’il mérite…

2 commentaires »

  1. mariaque dit :

    Très vite, instantanément même (le dialogue sur plage en un champs/contrechamps ahurissament souligné par un scope de haute tenue), on sait que l’affaire sera plastiquement intense tout autant que laconique, atmosphérique plutôt que farouchement narrative (la structure dramatique originelle – pourtant solide -, est ici sacrifiée au profit d’une sensualité de tous les plans, au point d’en devenir parfois fumeuse, souvent arythmique).
    Car voilà, nous sommes en plein ces 80’s volontiers clippesques, abhorrées par certains, adorées par les ex-abonnés à Starfix: ces 80’s, pleines de tics et de poses, qui pourtant permirent même aux pires d’en tirer leur meilleur (Mulcahy et son Razorbak, Lynne et son Echelle de Jacob, Parker et son Angel Heart) et à l’heure desquelles le récit ne saurait prévaloir, le profit allant à l’emballage, fut-il typé, daté, signé.
    Loin de l’ultra-réalisme (un rien grand-guignol) du Silence des Agneaux, Manhunter joue, dans cet écrin fascinant/repoussant, de l’ambiguïté (pas autant qu’il pourrait mais tout de même), de l’empathie, du fétichisme (tantôt morbide, tantôt homo-érotisant), épuisant avec un poil d’arty- prétention les clichés les plus éculés, accrochant à cette occasion les wagons parfois aux culs des trains 70’s des grands manipulateurs graphiques justement (proposant une sorte d’Argento-MTV (la scène du « guet-apens au jogger »), de DePalma cold wave (l’interminable sortie/fuite de Graham de l’HP de Lektor)) au point d’offrir à l’œil une plongée vertigineuse dans la plus trouble des voluptés (criminelle (les ivresses du profiler impliqué) ou non (la scène du tigre, épatante (n’y a-t-il pas un truc du genre dans l’Entre Ses Mains d’Anne Fontaine ?))), soulignée par une BO immersive et toujours ad hoc (sauf peut-être le final gunfighteux sur fond d’Iron Butterfly ?), aurait-elle vieilli depuis (on notera que l’environnement du tueur Buffalo Bill dans le Demme de 91 est aussi fait de FM 80 (remember le Goodbye Horses de Q.Lazzarus !)), ainsi que le labyrinthe mentalo-pulsionnel le plus excitant qui soit.
    Un casting de goût, faussement cheap et atone (Petersen, sortant de Police Federale LA, en homme de la situation, Brian Cox livrant un intense et économe Hannibal, Tom Noonan abyssalement troublant en tueur sensible, et le toujours au poil (de bacchantes) Dennis Farina, buddy de tous les buddies) se porte au service de l’expérience, parvenant même à ne pas se perdre dans les méandres post-modernisantes du Mann Man et renforcer la fascination occasionnée lors de telle ou telle séquence (le retour flamboyant du reporter Lounds dans le parking du National Tattler m’a hanté 20 années durant).
    Manhunter ? Une baffe autant qu’une caresse dans le froc, une affaire datée autant qu’une persistante fantasmagorie sensuelle morbide… d’où l’hypnotique trouble, intact… méchamment bandant.

  2. playitagain dit :

    Merci pour ce commentaire, Mariaque. N’hésitez pas à me poster autre chose qu’un extrait de votre propre blog, à l’avenir. Cela dit, je suis plutôt d’accord avec tout ça, sauf peut-être sur la BO. A vrai dire, je pense à peu près tout le contraire : la musique électro a pris un sacré coup de vieux, et submerge un peu trop certaines scènes (celle de Graham grimpant à l’arbre, par exemple). Par contre, je trouve la Iron Maiden scene bluffante. Brian Cox ne m’a pas non plus convaincu : ses mimiques grimaçantes seraient punies de prison, aujourd’hui ! C’est un acteur qui peut être immense cela dit. cf le sublime La 25ème heure.

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