Le Bûcher des Vanités (The Bonfire of the Vanities) – de Brian De Palma – 1990
Il serait peut-être temps de réhabiliter ce De Palma très grand cru, descendu en flèche à sa sortie il y a vingt ans. Du roman foisonnant et monumental de Tom Wolfe, Brian De Palma signe un film curieusement modeste, au ton très inhabituel. C’est drôle, parfois excessif, mais surtout très cynique. Et c’est aussi un film purement De Palmesque qui commence, tiens, par un long plan-séquence virtuose comme le réalisateur les affectionne. Avec une fluidité sidérante, la caméra suit un Bruce Willis totalement ivre, légèrement lubrique, et franchement goguenard, dans les couloirs, les ascenseurs et les coulisses d’un grand building où il est attendu pour… pour raconter le film, en fait. Et tout ce qu’on verra par la suite sera non pas une illustration de la stricte réalité, mais la version des faits telle les raconte le journaliste Peter Fallow. Et quand on voit où se situent la morale et l’honnêteté intellectuelle des personnages de ce film, on peut sérieusement douter de leur véracité absolue.
Il y a d’ailleurs des moments étonnants, « too much », comme s’ils étaient fantasmés par la plume du journaliste en quête d’une bonne histoire à raconter. Sherman McCoy, le héros de cette histoire, trader caricatural qui vit dans un appartement caricatural, avec une femme caricaturale, un chien caricatural, des voisins caricaturaux, et une maîtresse caricaturale, n’a ainsi rien de réel. Il ne devient vraiment humain, et touchant, que dans l’unique scène où il rencontre le narrateur, dans le métro.
Exceptée cette scène, simple et belle, Sherman McCoy est un symbole, plus qu’un personnage. Tous les personnages sont ainsi, excessifs et proches de la caricature, entièrement au service du message que Peter Fallow veut faire passer dans son article, puis dans son livre. Cette histoire tristement banale – un golden boy en goguette avec sa riche maîtresse renverse un jeune noir dans le Bronx et prend la fuite – révèle les dérives inhumaines de la société américaine de ces années-là (c’est-y mieux aujourd’hui ?), où ne compte que l’argent facile et l’image que l’on donne, deux valeurs pour lesquelles toutes les compromissions sont possibles.
Le Bûcher des Vanités est un film malin et gonflé, où De Palma évite consciencieusement tous les jugements faciles. Le golden boy a une vie d’une vacuité hallucinante ? Oui, mais la mère du jeune noir fauché, malgré sa douceur apparente, n’est pas beaucoup plus recommandable. Pas plus que le pasteur, leader de la communauté noire. Pas plus que le procureur juif, qui se rêve en maire de New York. Pas plus que Peter Fallow lui-même, pourtant le plus humain de tous, mais qui consent à vendre son âme au diable. « Après tout, il y a quelques compensations… »
La caméra de De Palma est virtuose, mais pourtant très discrète, comme elle l’est dans les meilleurs films du maître. Et devant cette caméra, il y a quelques acteurs assez époustouflants. Tom Hanks, bien sûr, constamment dans le juste ton avec ce personnage pas facile, égotiste insupportable qui révèle peu à peu une complexité et une humanité inattendues. Melanie Griffith, bécasse réjouissante qui ne semble vivre que pour le sexe et l’argent (dans quel ordre ?). Morgan Freeman en juge humaniste, réaliste et grande gueule qui se lance, dans une salle comme figée, dans un grand discours qui évoque le James Stewart de Monsieur Smith au Sénat. Kim Catrall en riche quadra obnubilée par sa silhouette, sa place dans la société, et son chien. Et Bruce Willis, génial en loser magnifique, fil rouge de cette histoire édifiante, et si bien racontée…
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