La Femme et le Pantin (The Devil is a woman) – de Josef Von Sternberg – 1935
C’est le dernier des sept films tournés par Marlene Dietrich sous la direction de son pygmalion Von Sternberg, et le plus étrange, aussi. Ça commence un peu comme dans un roman d’Hemingway : il ne manque que l’alcool dans cette magnifique séquence tournée au cœur d’une grande fête populaire, séquence filmée du point de vue d’un personnage masqué que l’on ne connaît pas encore, interprété par Cesar Romero. Sans dialogue, cette séquence est un modèle de mise en scène : elle montre d’une manière magistrale l’attirance qui naît entre un homme et une femme, simplement à travers les regards échangés au cœur de la foule. Au niveau de l’intention, c’est d’une simplicité totale. Au niveau de la réalisation, c’est sublime.
Curieusement, Von Sternberg enchaîne avec une scène de retrouvailles entre deux amis (Romero et Lionel Atwill) filmée assez platement, comme si seule la beauté de Marlene l’inspirait, et par un récit qui alterne les flash-backs et le temps présent. Cela donne un rythme déroutant, mais séduisant au film.
C’est aussi un film sur les faux-semblants, sur le mensonge, sur la tromperie, sur le désir. Où est la vérité, où est le mensonge de ce film, dont les deux tiers sont basés sur le récit du personnage de Lionel Atwill, qui présente la belle Marlene comme la pire des traînées, prête à jouer avec les sentiments qu’elle inspire pour son seul profit. La mère possessive existe-t-elle seulement ? Ce que le personnage nous raconte a-t-il une base de réalité ? On ne le saura pas, ce qui n’aide pas à cerner la personnalité de Marlene, certes belle à damner, mais aussi réelle qu’une illustration dans un beau livre. Son humanité, qui éclate à la fin du film, va à l’encontre de tout ce qu’on a appris sur elle jusqu’à présent.
Ce parti-pris est à la fois la force et la faiblesse du film. La force, parce qu’il exacerbe ce triangle amoureux par ailleurs assez banal, faisant du film un exercice de style manipulateur et mémorable. La faiblesse, parce qu’il est difficile de s’attacher aux personnages. Sauf peut-être à celui de Lionel Atwill, qui aurait pu être l’homme de trop de ce trio, le troisième larron qui contrarie l’idylle qui doit éclater entre les deux vrais héros, mais qui se révèle le personnage le plus profond, le plus émouvant, et le plus intéressant de ce film.