Au-delà (Hereafter) – de Clint Eastwood- 2010
Clint Eastwood n’est pas seulement le plus grand cinéaste vivant. C’est aussi le plus délicat. Il le prouve encore avec ce film qui, sur le papier, faisait un peu peur. Depuis vingt ans, je n’ai pas raté un Clint au cinéma (le premier, c’était La Relève), attendant systématiquement le prochain avec une impatience et un enthousiasme qui ne se démentent pas. C’est d’ailleurs encore le cas avec le futur biopic sur Hoover, dont il doit commencer le tournage dans quelques jours. Mais là, pour la première fois, l’enthousiasme se faisait plus discret. L’histoire croisée de trois personnages qui se retrouvent autour de la mort (une Française qui côtoie la mort lors du tsunami, un Américain qui communique avec les morts, un enfant anglais qui perd son frère jumeau) ? Mouais, bof… C’est bien parce que c’est Clint…
Eh bien encore une fois, il remporte le morceau. Du mélo larmoyant qu’on nous promettait, Eastwood tire un film apaisé, dépassionné même, et anti-spectaculaire (passée la séquence époustouflante du tsunami, filmée exclusivement du point de vue de Marie, le personnage incarné par Cécile de France). Malgré le thème, c’est même le film le plus optimiste qu’il ait fait depuis dix ans. Le thème, justement, est hyper gonflé : il n’est pas vraiment question de deuil, ou de l’approche de la mort, mais du rapport que l’on entretient avec la mort qui nous guette tous.
Qu’y a-t-il après ? Faut-il en avoir peur ? A la première question, Clint Eastwood ne répond pas, bien sûr. Mais à la seconde, il dit clairement : « non », condition sine qua non pour réussir sa vie, et trouver enfin sa vraie place dans le monde des vivants. Et pour ça, une seule méthode : être en paix avec soi-même. Clint l’est visiblement. Et la manière qu’il a de montrer les choses sans les appuyer, de filmer les drames sans en rajouter, en est la démonstration évidente. Eastwood est le dernier des grands réalisateurs classiques ; c’est aussi, peut-être, le plus serein de tous.
Il manque peut-être un peu de passion, justement, à Hereafter. Mais il y a derrière cette triple-histoire une sincérité absolue, comme on sent que l’hommage, appuyé, à Dickens est totalement sincère : cet auteur que vénère George, et dont ce gosse anglais semble être un personnage transposé dans le XXIème siècle (on se souvient d’ailleurs que Eastwood a eu un temps le projet de porter à l’écran la vie de Dickens, qu’il aurait lui-même interprété). Il y a aussi dans le film un premier degré rafraîchissant : le « don » du médium George (Matt Damon), qui communique avec les morts, est montré comme une chose presque naturelle, même si le personnage vit ça comme une malédiction, et pas comme un don.
Quelques petites fautes de goût, aussi, si on veut être tatillon : la manière un peu appuyée de montrer comment Marie, journaliste réputée (de France Télévision) est rejetée de tous parce qu’elle parle de son expérience de mort imminente, est parfois lourdingue (elle comprend qu’elle a été remplacée lorsque les affiches sur lesquelles sont visage figurait dans Paris sont remplacées par d’autres). L’utilisation des attentats de Londres, comme un ressort dramatique à peine effleuré, est aussi un peu discutable.
Ces (petites) réserves mises à part, Hereafter est une belle réussite, que l’immense majorité des réalisateurs auraient transformé en piteuse mièvrerie. Pas Clint Eastwood, grâce en partie à des détails minuscules et parfaitement eastwoodiens, qui parsèment le film. Cécile de France filmée en gros plan dans l’obscurité d’un restaurant. Matt Damon buvant une bière dans la solitude de son appartement. Un accord de guitare qui résonne doucement. Il n’en faut pas plus à Clint pour faire naître l’émotion, poser sa touche, et faire vivre son univers.
Un univers qui, malgré la multiplicité des sujets qu’il aborde film après film, nous est si familier. C’est sans doute ça, la marque d’un véritable auteur…