La Femme au Corbeau (The River) – de Frank Borzage – 1929
Considéré comme irrémédiablement perdu durant des décennies, ce film mythique a été retrouvé par hasard dans les archives de la Fox, dans une copie nitrate que le temps avait en partie détruite. Tout le début du film a ainsi disparu, ainsi que la dernière bobine, et deux courtes séquences intermédiaires. Grâce au scénario final et aux notes de productions (déposés à la Fox), et à des photos de la collection personnelle de Borzage, le film a toutefois pu être reconstitué, avec des images fixes et des intertitres explicatifs, afin de pouvoir suivre l’intrigue.
Il n’empêche qu’on ne peut avoir qu’un jugement parcellaire sur ce film très différent des précédents mélos de Borzage (L’Heure suprême et L’Ange de la rue), mais visiblement aussi ambitieux. Il semble que les séquences manquantes donnaient une toute autre ampleur à la production : les photos nous montrent des dizaines d’ouvriers occupés à la construction d’un barrage (un décor magistrat reconstitué en studio, par le fidèle Harry Oliver) on ne peut que rêver à ces passages, probablement perdus à jamais. De nombreux personnages disparaissent ainsi totalement, et la grande majorité du métrage se concentre exclusivement sur les deux personnages principaux, interprétés par Charles Farrell et Mary Duncan, couple que Murnau reformera l’année suivante pour City Girl.
Les deux personnages principaux sont suffisamment bien dessinés pour que la perte des premières séquences n’empêche pas de se passionner pour la naissance de leur passion. D’un côté, Charles Farrell, jeune homme maladroit avec les femmes, mais épris de liberté, coincé avec la péniche qu’il a construite par le chantier du barrage, et qui doit rester amarré là durant tout l’hiver. De l’autre, Mary Duncan, la petite amie d’un petit caïd qui vient d’être enfermé pour meurtre, et qui doit elle aussi passer l’hiver dans ce camp déserté jusqu’au printemps.
Les deux jeunes gens se retrouvent seuls, chaperonnés par un étrange corbeau qui semble là pour s’assurer de la fidélité de la belle : lui, innocent comme un enfant ; elle, vraie femme à la sensualité exacerbée, dont les poses lascives et les cambrures sont autant d’appels au sexe… On comprend que Borzage ait préféré Mary Duncan (actrice maudite : ses trois principaux films ont été des échecs publics sans appel, Four Devils, de Murnau, ayant par ailleurs disparu) à l’innocente Janet Gaynor, qu’il retrouvera toutefois pour le magnifique Lucky Star.
On ne peut évidemment avoir qu’un avis parcellaire sur ce film, mais la relation naissante de ces deux jeunes amants est, elle, parfaitement sauvegardée. Et elle est passionnante. Au fur et à mesure que la carapace de la dure Mary Duncan s’effrite, le gamin Charles Farrell s’affirme, jusqu’à une explosion de rage au cours de laquelle, pour contenir sa passion et sa frustration, le gars se met à abattre les arbres à la chaîne, par une nuit glaciale battue par une tempête de neige. Une vision de folie qui poussera Farrell aux portes de la mort.
Mais comme toujours chez Borzage, l’amour est plus fort que la mort ou la maladie. Mary Duncan ramènera l’homme qu’elle aime à la vie en se blottissant contre son corps nu, dans une scène d’une rare sensualité. The River est une parenthèse dans cette période très romantique de Borzage : jamais le réalisateur n’a abordé de manière aussi frontale l’aspect physique de l’amour, et la résonance que peut avoir l’attirance sexuelle de deux êtres. C’est gonflé, et c’est superbe.
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