La Jeune Fille et la Mort (Death and the Maiden) – de Roman Polanski – 1994
On a beaucoup parlé du face-à-face étouffant entre Sigourney Weaver et Ben Kingsley, mais curieusement, c’est le troisième larron de ce huis-clos moite et inquiétant qui marque le plus les esprits. Stuart Wilson, qu’on connaissait jusqu’alors surtout pour être le méchant grand-guignolesque de L’Arme Fatale 3, est formidable. Il apporte toute la profondeur qu’il fallait à son personnage, tiraillé entre son sens du devoir et son amour pour sa femme. C’est finalement lui, le personnage central de ce film. Hélas, l’aura de ses deux co-vedettes a détourné de lui l’attention qui aurait dû lui revenir.
Non pas, d’ailleurs, que les prestations de Sigourney Weaver et de Ben Kingsley ne soient pas à la hauteur, bien au contraire. Elle est un formidable bloc de douleur et de haine, tandis que lui est une énigme impénétrable, tout en nuances. Mais c’est bien le personnage de Wilson qui se révèle être le pivot et le moteur du film. Il y interprète un politicien placé à la tête d’une commission chargée d’enquêter sur les crimes commis par la dictature au pouvoir quelques années plus tôt, dans ce pays d’Amérique latine. Il vit dans une maison isolée avec sa femme, marquée physiquement et mentalement par les tortures qu’elle a elle-même subies. Un soir, le mari ramène un étranger à la maison. Sa femme est vite persuadée qu’il s’agit de son bureau, dont elle ne connaît que la voix et l’odeur…
On imagine bien le suspense que Polanski a su tirer de ce postulat : l’étranger est-il réellement le bourreau ? Il faudra attendre les dernières minutes du film pour avoir la réponse à cette question, et c’est tant mieux : le réalisateur a le temps, alors, de montrer les doutes qui apparaissent et se répandent dans l’esprit de Stuart Wilson. Figure absolue du grand homme politique droit comme la justice, ce dernier ne tarde pas à perdre de sa superbe, et révèle des faiblesses abyssales. Et une ambiguïté inattendue : croit-il vraiment sa femme, ou est-il plus simplement un homme faible et un peu lâche ? Là encore, Polanski ne tranche pas clairement, pas plus qu’il ne condamne le comportement de la victime ou celui du bourreau. Finalement, le message du film serait que tout le monde est victime, dans ces époques de dictature… Ah, bon ?!…
Le message que martèle Polanski dans son film ne brille pas vraiment par son originalité. Le cinéaste ne fait pas toujours dans la dentelle, ici : pour preuve, cette maison perdue dans la nuit et battue par la tempête, qui illustre un peu béatement l’état d’esprit de Sigourney Weaver… Mais qu’importe, finalement, Death and the Maiden est aussi un pur film d’angoisse, parfaitement maîtrisé par Polanski. Pour réussir ce film, il fallait trouver le ton juste, et garder intacte la tension de bout en bout. C’est ce que fait le réalisateur, avec un immense talent : dès les premières images, il installe un sentiment d’angoisse très prenant, qui ne retombe jamais.
Polanski a déjà fait plus léger, mais rarement plus efficace…
Laisser un commentaire
Vous devez être connecté pour rédiger un commentaire.