La Femme infidèle – de Claude Chabrol – 1968
Etrange… Ce bon vieux Chabrol m’avait laissé le souvenir d’une atmosphère un peu langoureuse, voire sulfureuse. Il n’en est rien. Stéphane Audran est belle à damner (comme toujours devant la caméra de son compagnon d’alors, qui la filme comme s’il la caressait), mais elle est bien le seul élément de séduction de ce film ostensiblement froid et austère. De cette époque-là, celle de ses grands classiques (il enchaîne avec Que la bête meure et Le Boucher), La Femme infidèle est sans doute le film qui rappelle le plus que Chabrol fut l’un des pères-fondateurs de la Nouvelle Vague. Il filme ses personnages avec beaucoup de distance et une absence totale de passion, ce qui peut paraître un peu déroutant pour une histoire qui tourne autour d’un crime passionnel.
Mais c’est cette austérité qui rend le film si troublant, et la critique de cette fameuse bourgeoisie de province (la grande obsession du cinéaste, avec la bouffe, de A double tour à La Fille coupée en deux) si puissante. En évitant consciencieusement tous les effets cinématographiques qui auraient pu rendre sa critique trop évidente, Chabrol nous montre une famille parfaite, qui mène une vie parfaite et sans histoire, dans une maison de campagne baignée de soleil et agréablement ombragée. Une famille modèle, quoi, mais qui fait froid dans le dos, comme font froid dans le dos les relations du père avec son fils, ou les déclarations d’amour de Michel Bouquet à Stéphane Audran. Rarement on aura entendu un « Je t’aime » déclamé avec une aussi flagrante absence de passion.
Parce qu’il est rapidement évident que ce qu’aime le personnage de Bouquet, c’est l’image qu’ils donnent du bonheur, plutôt que le bonheur lui-même. Incapable de passion, il voit dans le personnage de Maurice Ronet une menace qui pèse sur l’équilibre si parfait de sa vie, plutôt qu’un rival dans le cœur de sa belle épouse. La longue séquence du meurtre, et surtout de l’après-meurtre, montre bien le sang-froid naturel de cet homme incapable d’éprouver le moindre sentiment, ou le moindre remords.
Bouquet est formidable. Mais Stéphane Audran l’est tout autant. Contrairement à son mari dans le film, elle laisse transparaître quelques bribes d’émotion tout au long du film. De pulsions de femme, aussi. Les larmes qu’elle se laisse aller à verser après avoir appris la mort de son amant relèvent d’ailleurs sans doute plus de la frustration de voir sa « soupape » disparaître, plutôt que de la douleur de perdre son amour. Au fond, son personnage tient tout autant à cette vie d’apparence que le couple a sans doute mis des années à construire. Lorsqu’elle comprend que son mari a tué son amant (mais ne l’a-t-elle pas su tout de suite ?), sa décision est naturellement prise : pas question de le dénoncer à la police. Cette histoire ancienne qu’elle a déjà oubliée n’a aucun poids face au vernis qui recouvre sa vie, et qui s’apprête pourtant à craquer.
Chabrol fera encore mieux (notamment avec Juste avant la Nuit, qui reformera trois ans plus tard le même couple Stéphane Audran-Michel Bouquet), mais en signant un film totalement dépassionné, il plonge le spectateur dans l’état d’esprit de ses personnages, et signe avec La Femme infidèle l’un de ses films les plus dérangeants.
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