Lost Highway (id.) – de David Lynch – 1997
Décidément, je ne me remets pas de la mort de David Lynch. Après m’être replongé dans les méandres de Twin Peaks et de Mulholland Drive, il était temps d’ajouter une entrée supplémentaire à ce blog, en revoyant ce Lost Highway qui reste l’une des expériences les plus absolues, les plus marquantes, de ma vie de cinéphile. A vrai dire, il m’a fallu attendre… le retour de Twin Peaks pour ressentir quelque chose de semblable.
C’est dire l’importance que revêt David Lynch, et le vide sidéral que sa mort laisse, dans un cinéma américain au-delà de moribond. Penser qu’on ne verra jamais de onzième long métrage de Lynch, alors qu’on n’est pas à l’abri d’un seizième (j’ai compté) film de Michael Bay a quelque chose de profondément déprimant. C’est bien simple : c’est déprimé que je m’installe et lance le blu ray de Lost Highway.
Et là, la magie opère. Il ne faut pas longtemps pour retrouver les sensations éprouvées au cinéma il y a vingt-huit ans. La fascination exercée par les lignes jaunes de la route qui défilent dans la nuit au son de David Bowie. De tous les trips cinématographiques, celui-ci est peut-être le plus radical. La plongée est en tout cas profonde, brutale, et traumatisante.
On a souvent dit de Lost Highway qu’il était une sorte de brouillon pour Mulholland Drive, qui lui serait supérieur en tous points. Comme Les Affranchis par rapport à Casino, disons. Mais chez Lynch comme chez Scorsese, le brouillon a un caractère brut et une urgence que je place au-dessus de tout. Et Lost Highway est un chef d’œuvre, finalement moins opaque qu’exceptionnellement conscient. Je m’explique…
A-t-on suffisamment dit que Lost Highway était (je m’avance) le plus grand film du monde sur les violences faites aux femmes ? Deux décennies avant me-too, et alors que l’expression « crime passionnel » était encore en vigueur, David Lynch nous plonge avec ce film dans l’esprit d’un homme qui a tué sa femme. Et qui, dans le couloir de la mort, se projette dans une version fantasmée de ce qu’il a vécu, de son point de vue malade : la femme est le danger.
Et ce danger, Lynch le filme avec fièvre et avec une gravité stupéfiante, dans une première partie qui flirte avec le film d’horreur, sans jamais s’éloigner de son vrai sujet : la terreur qui s’installe dans un couple, avec des scènes « conjugales » parmi les plus effrayantes qu’on n’ait pu voir. Cette première partie est parfaitement linéaire et compréhensible, jusqu’au basculement, radical, comme Lynch en a le secret.
Là, c’est une hallucinante plongée dans l’esprit de cet homme qui se poste en victime que filme Lynch, nous emmenant très loin dans ce cauchemar éveillé, multipliant les images inoubliables. Au cœur de ce trip traumatisant, Patricia Arquette trouve le rôle de sa vie, troublante et bouleversante dans le double-rôle de la femme martyr et d’une vamp fantasmée. A l’inverse, il faut deux acteurs pour projeter l’homme et son double : Bill Pullman (qui sortait d’Independance day, c’est dire le chemin) et Balthazar Getty.
La distribution est incroyable (de Richard Pryor à Marylin Manson en passant par Robert Blake, Gay Busey, Robert Loggia ou le fidèle Jack Nance), la musique est carrément dingue, et le film est un chef d’œuvre, l’un des sommets (le sommet?) de David Lynch, cinéaste immense pour l’éternité.