Play it again, Sam

tout le cinéma que j’aime

Are you lonesome tonight ? (Re dai wang shi) – de Wen Shipei – 2021

Classé dans : * Polars asiatiques,2020-2029,WEN Shipei — 11 septembre, 2024 @ 8:00

Are you lonesome tonight

Une nuit, un jeune homme un peu en retard renverse un homme et le laisse pour mort. Pris de remords, il cherche à se rapprocher de sa veuve… L’intrigue de ce film noir made in China n’est pas révolutionnaire, mais elle sert de base à un film étonnant, audacieux, et même hypnotique.

Le réalisateur chinois Wen Shipei (dont c’est le premier long métrage) joue avec les perceptions, les sensations, pour un film envoûtant autour de deux personnages comme emmurés dans leurs solitudes respectives, solitudes renforcées avec beaucoup de beauté par les évocations de la chanson du King, qui donne son titre au film.

L’esprit, ou plutôt l’aura qui baigne ce film a de quoi séduire, évoquant à sa manière l’effet inoubliable produit par les films de Wong Kar-wai à l’époque de In the mood for love. Mais ça, c’est pour la première partie du film.

La relation improbable entre la veuve, entre deux âges, et le jeune chauffard dont elle ignore qu’il a tué son mari, est assez fascinante. Mais elle est bientôt éclipsée par une révélation certes inattendue (attention, je spoile… l’écrasé a deux balles dans la peau), mais qui fait l’effet d’une douche froide.

Quoi ! A ce double portrait de deux êtres malades et désespérément seuls (solitude renforcée par la société, comme l’illustre cette tristement et ridiculement sinistre scène des condoléances des voisines), le réalisateur et scénariste préfère une intrigue policière banale et décevante ? L’histoire d’un sac de fric qui devient la pierre angulaire du récit…

Formellement, Wen Shipei n’abdique pas vraiment dans ses ambitions, jusqu’à une chasse à l’homme tendue et originale dans un hangar tout en box et rideaux. Mais cette stylisation de l’action ne fait plus qu’habiller une intrigue qui perdu de son attrait.

En changeant de cap à mi-film, Wen Shipei a perdu le fil de son récit immersif, transformant un magnifique mélodrame en un habile polar existentiel. C’est bien, mais ça promettait d’être tellement mieux que bien.

Frère et sœur – d’Arnaud Desplechin – 2022

Classé dans : 2020-2029,DESPLECHIN Arnaud — 10 septembre, 2024 @ 8:00

Frère et Sœur

Mais d’où vient cette vision de la famille que nous offre Arnaud Desplechin ? Et le verbe « offrir » n’est pas utilisé par hasard, tant ce que procure ce film pourtant dur et cruel s’apparente à une sorte de libération, et même de déclaration d’amour à la famille. Oui, vu le sujet, et vu les rancœurs qui se trimballent dans cette famille-là, c’est paradoxal.

De là à dire que Desplechin est un magicien, il n’y a qu’un pas que je franchis allégrement. C’est en tout cas un cinéaste immense, capable de réunir dans un même mouvement tendresse et cruauté, pour faire surgir l’émotion la plus vive des situations les plus anodines, ou les plus inattendues. Un peu à la manière d’un Bergman, dont l’ombre m’a semblé planer sur ce film magnifique.

On y retrouve en tout cas cette manière si intime de filmer les visages, de plonger dans les méandres de l’esprit, de faire ressentir les sentiments les plus exacerbés, rarement univoques. Bien sûr, comparer Desplechin à Bergman peut être un compliment empoisonné. Mais s’il se voit en élève, il faut reconnaître qu’il est un élève extrêmement doué, qui ici en tout cas se montre digne du maître.

C’est donc une merveille, oui, et un film d’une puissance assez rare. Quand leurs parents sont hospitalisés à la suite d’un accident (séquence incroyable, qui réinvente totalement la manière de filmer le drame), leurs enfants se retrouvent à leur chevet. Mais deux des enfants sont fâchés à mort depuis des années, depuis un autre drame bien des années plus tôt, au point de se fuir comme la peste, et de régler leurs comptes par livres interposés.

Marion Cotillard et Melvil Poupaud sont exceptionnels dans ce numéro de duettistes dont on ignore l’origine de leur haine, mais dont on devine le manque de l’autre. L’ignorance dans laquelle nous cantonne Desplechin, et la lueur de ce pardon impossible mais tellement désiré… Cette haine si explosive, si radicale, est pourtant d’une étrange beauté, parce qu’elle recouvre d’immenses sentiments qui ne demandent qu’à sortir.

Tout est paradoxal dans ce film, tout est contradictoire. L’amour et la haine qui sont inextricablement liés, la tendresse qui surgit des moments les plus tendus, la pureté des non-dits les plus pesants. Rien n’est simple, mais tout est limpide. Les petites mesquineries ne font que renforcer la grandeur des rapports humains…

Frère et Sœur est le film d’un cinéaste magicien, qui nous mène exactement où il veut, sans qu’on comprenne vraiment le chemin qu’on a emprunté. Ce qu’on sait en revanche, c’est que ce chemin, quel qu’il soit, est intense et bouleversant.

Madame Bovary – de Claude Chabrol – 1991

Classé dans : 1990-1999,CHABROL Claude — 9 septembre, 2024 @ 8:00

Madame Bovary 1991

Relu avec enthousiasme cet été, sur les routes des Pyrénées, le chef d’œuvre de Flaubert m’a donné envie de prolonger le plaisir avec l’une de ses adaptations. Celle de Renoir étant très décevante, le moment était parfait pour découvrir celle de Chabrol, sortie à une époque où l’idée de voir l’adaptation d’un classique aussi daté me paraissait bien peu attirante.

Chabrol a-t-il su porter à l’écran cet univers si éloigné du sien ? Réponse en deux temps. D’abord, cet univers n’est pas si éloigné du sien. Le roman de Flaubert est même souvent très proche des obsessions du cinéaste : on y trouve une vision acerbe de la bourgeoisie de province, et des femmes étouffées par leurs maris et par les conventions de leur condition. Bref, Madame Bovary est un film très chabrolien.

C’est aussi un film très fidèle, parfois à la lettre, de l’œuvre de Flaubert, dont la voix off très présente (celle, toute en suavité, de François Périer) reprend des extraits entiers. Et Isabelle Huppert livre une grande incarnation d’Emma, soulignant à la fois sa fragilité, sa détermination et sa douleur. Face à elle, Jean Yann est savoureux en pharmacien fat, mais Jean-François Balmer plombe son interprétation du mari médiocre par sa propension à en faire beaucoup, et à le faire d’une manière très maladroite.

Surtout, voir le film aussitôt après avoir vu le roman n’est pas une bonne idée, parce qu’il condamne l’adaptation à une comparaison inévitable. Et cruelle. Aussi fidèle et aussi sincère le film soit-il, il échoue à nous plonger dans les tourments d’Emma, et donne le sentiment d’assister à une illustration du roman, belle et honnête, mais sans le verbe de Flaubert.

Et sans la fièvre et le trouble d’Emma, cette voix intérieure ardente et constamment changeante, qui fait la beauté du roman.

Silent Night (id.) – de John Woo – 2023

Classé dans : 2020-2029,ACTION US (1980-…),WOO John — 8 septembre, 2024 @ 8:00

Silent Night

Ô, jeune d’aujourd’hui ! Sans doute ne réalises-tu pas ce que John Woo a représenté pour le jeune d’il y a trente ans (bien tapés, oups). C’était au tout début des années 1990. Un petit film hong-kongais débarquait avec un peu de retard sur nos écrans français. Ça s’appelait The Killer, et ça a fait l’effet d’une bombe.

Je n’ai pas la moindre de l’effet que ce petit film aurait sur toi aujourd’hui, toi qui as peut-être été biberonné par les excès de Michael Bay ou les coups de tatanes de Jason Statham ou, pire, de Dwayne Johnson. Mais sache, quand même, que sans ce petit film, le cinéma d’action serait bien différent.

C’est qu’il a eu un effet dingue, ce petit film : dès Die Hard 2 en fait, tous les blockbusters américains lui doivent quelque chose. Ce n’est pas un hasard si John Woo a décroché son ticket pour Hollywood, signant une petite poignée de réussites (Volte Face, Mission Impossible 2) avant que son aura ne s’estompe, et qu’il reparte à Hong-Kong se refaire une santé.

Cette longue intro pour dire que Silent Night n’est pas un film anodin, parce qu’il marque le retour aux Etats-Unis de Woo, vingt ans après un Paycheck qui n’a pas laissé une grande trace dans l’histoire. Et parce que, depuis, tout a changé dans la manière de faire et de « consommer » le cinéma.

La preuve : ce retour est passé à peu près inaperçu. Ce qui est bien dommage. Pas que Silent Night soit une réussite majeure du réinventeur du gunfight. Mais il rappelle à quel point Woo est un formaliste novateur.

Loin de se reposer sur ses lauriers (pas même une colombe dans un coin), Woo se lance un vrai défi : réaliser un grand film d’action… muet. Les quelques (rares) répliques n’y changent rien : Silent Night est effectivement un pur exercice de style qui reprend de nombreux thèmes chers à Woo (l’enfance sacrifiée, le duo d’action mal assorti, la justice du talion…), mais soumis à cet écueil de poids : à l’image de son héros, père martyr privé de sa voix, personne ne parle dans le film.

L’exercice de style ne s’élève jamais de ce qu’il est (un exercice de style, donc), et souffre d’une distribution de ligue 8 (à part Joel Kinnaman, intense et convaincant, les acteurs sont remarquablement ternes), mais c’est d’une efficacité imparable, l’œuvre d’un grand formaliste, donc, qui réussit quelques plans (longs) assez dingues.

Sur le fond, Woo ne révolutionne rien. Sur la forme, il rappelle à ceux que ça intéresse encore qu’il en a toujours sous le pied…

Rocco et ses frères (Rocco e i suoi fratelli) – de Luchino Visconti – 1960

Classé dans : 1960-1969,VISCONTI Luchino — 7 septembre, 2024 @ 8:00

Rocco et ses frères

Il a fallu la mort de Delon et la programmation spéciale du petit cinéma de province que je fréquente pour découvrir enfin cette merveille que je n’avais jusqu’à présent jamais vu (oui, je sais… mais c’est tellement beau de découvrir un chef d’œuvre, même si tardivement). L’attente valait le coup, tant le grand écran rend hommage à ce film à la fois ample et intime, chronique sublime d’une famille d’Italiens du Sud débarquant sans le sou dans un Milan froid et inamical.

Comme L’Insoumis, ce chef d’œuvre semble contredire absolument l’image que Delon s’évertuera à construire de lui-même. Lui, dont le visage impassible et le regard froid deviendront des signatures incontournables, est ici une sorte d’incarnation de la douceur et de la bonté, une figure angélique dont les sourires et les caresses sont autant de caresses.

Et c’est assez beau de savoir que Rocco était, de tous ses personnages, celui qu’il préférait : un homme fragile, imparfait, dont les actions si désintéressées soient-elles peuvent semer les graines du drame, et qui pleure à chaudes larmes, comme l’enfant blessé qu’il est. Bref, un personnage à fleur de peau, dont l’intensité est d’autant plus bouleversantes qu’il apparaît d’abord en retrait, présence discrète et solide à la fois.

Rocco est le troisième de cinq frères. Celui du milieu, donc, et ce n’est pas un hasard : il est en quelque sorte la croisée des chemins, le lien vibrant entre ses aînés et leurs échecs, et ses benjamins et l’avenir qu’ils représentent. Le sens de la famille, il est vrai, a un poids incomparable dans cette fratrie qui semble si solide autour de la figure de la mamma, matriarche italienne pas franchement prête à laisser ses fils voler de leurs propres ailes.

Aujourd’hui, en France, on parlerait sans doute de famille dysfonctionnelle. Parce que le bel équilibre qui apparaît dans les magnifiques premières scènes, celles de l’arrivée de la famille démunie à Milan, laissent à penser que l’union de cette famille est parfaite, et qu’au fond, rien de bien grave ne peut vraiment arriver tant qu’ils sont ensemble.

Mais il y a des fêlures : un fils décidé à se détacher de la famille, un deuxième à qui on a trop fait croire qu’il avait le monde à portée de poings, une jeune prostituée belle et paumée, et puis Rocco à qui on offre ce qu’il n’a pas cherché, ce dont, même, il ne veut pas. Et la rupture est brutale, qui explose dans une longue séquence nocturne de viol et de rage fraternelle, d’une intensité déchirante.

Formellement, le film est une splendeur, Visconti flirtant avec le néoréalisme alors en vogue en Italie pour ce qui est à la fois une grande fresque, et une chronique puissamment intime. A la fois la description d’une Italie miséreuse sans horizon, et le portrait douloureux d’un jeune homme naïf dont la bonté n’est pas sans conséquence, personnage visiblement inspiré par L’Idiot de Dostoïevski.

Alain Delon trouve sans doute là le rôle de sa vie. Annie Girardot, d’une beauté bouleversante, trouve là assurément le rôle de sa vie. Et Visconti signe l’un de ses chefs d’œuvre, le genre de films qui donne immédiatement envie de le revoir. Ce que je m’en vais m’empresser de faire…

Emilia Pérez (id.) – de Jacques Audiard – 2024

Classé dans : 2020-2029,AUDIARD Jacques,COMEDIES MUSICALES — 6 septembre, 2024 @ 8:00

Emilia Pérez

Totalement improbable sur le papier, le nouveau Jacques Audiard qui, après le film noir et le western, s’approprie un autre genre purement américain : la comédie musicale. A sa manière donc, racontant l’amitié naissante d’une avocate sans illusion avec un dangereux chef de gang décidé à devenir une femme, dans le Mexique des Cartels.

Aborder un tel sujet de société (le changement de sexe et ses conséquences psychologiques), dans un tel contexte de violence (le sentiment de danger et de brutalité est omniprésent), avec de vrais passages musicaux (chansons et chorégraphies comprises)… Voilà le genre d’ambition qui relève, selon le résultat, la maîtrise ou l’arrogance d’un cinéaste. Bonne nouvelle : Audiard a un talent fou, et une maîtrise extraordinaire.

Emilia Pérez n’est pas un film parfait : il y a bien une poignée de mouvements de caméra qui manquent un peu de nature, et quelques transitions un peu brutales entre les différentes séquences. Mais ça, c’est juste histoire d’expliquer pourquoi on hésite à parler de chef d’œuvre. Parce que, honnêtement, on n’en est pas bien loin. Et il y a dans ce film une envie de cinéma qui n’est vraiment pas courante.

Bien sûr, la notion même de film musical est un formidable catalyseur de cette envie de grand cinéma, qui explose dans une poignée de séquences extraordinaires, d’autant plus mémorables qu’elles s’inscrivent parfaitement dans le récit, soulignant les tourments des différents personnages. La meilleure, peut-être : la chanson rageuse de Zoe Saldana durant le gala de charité, d’une puissance émotionnelle et narrative imparable.

Elle est absolument sublime, Zoe Saldana, actrice que je découvre tardivement (oui, c’est vrai, elle était très bien dans Avatar, mais c’est quand même pas tout à fait pareil), mais dont je me risquerais bien à affirmer qu’elle trouve là le rôle de sa vie, le genre de rôle dont toute actrice doit secrètement rêver.

Elle mérite en tout cas totalement son prix d’interprétation à Cannes, qu’elle a idéalement partagé avec Karla Sofia Gascon, très intense dans le (formidable) rôle titre, et accessoirement première actrice trans récompensée à Cannes. Que Selena Gomez et Adriana Paz aient partagé ce prix peut quand même paraître discutable : elles ont beau être parfaites, leurs personnages (et leurs prestations) restent annexes.

Emilia Pérez est en tout cas un grand film, aussi généreux qu’ambitieux, un projet assez dingue qui accouche d’un film franchement dingue. Bref, le genre de films qui redonne foi au cinéma. Et malgré sa noirceur, on en sort comme régénéré, enthousiaste, emporté par l’humanité qui s’en dégage.

L’Insoumis – d’Alain Cavalier – 1964

Classé dans : * Polars/noirs France,1960-1969,CAVALIER Alain — 5 septembre, 2024 @ 8:31

L'Insoumis

Alain Delon est mort. L’info ne vous a peut-être pas échappé. Moi, elle m’a secoué, bien plus que je ne l’aurai cru. Parce que, du haut de mes 48 ans, il m’est toujours apparu comme une figure du passé, qui appartenait déjà à une autre époque bien révolue quand j’ai commencé à fréquenter les salles de cinéma. Combien de dois l’y ai-je vu sur un grand écran ? Je me souviens d’1 chance sur 2, et du plus beau passage des Acteurs. Mais dans les deux cas, il se contentait de jouer avec sa légende.

Sa mort, pourtant, m’a marqué plus qu’aucun autre acteur français avant lui. Comme si, sans que j’en ai conscience, il avait toujours fait partie de mon panthéon. Pourquoi ? Humainement, il ne donnait pas franchement envie de partager des soirées. Artistiquement, il avait depuis bien longtemps abdiqué, se réfugiant derrière un passéisme complaisant. Politiquement, n’en parlons pas.

Ces derniers jours, j’ai donc revu pas mal de ses films (déjà chroniqués sur ce blog), histoire de comprendre d’où venait ce profond sentiment de grande perte. Plein Soleil, Le Samouraï et quelques autres ont apporté un début de réponse : cette présence hallucinante, cette douleur renfermée, et ce regard qui en dit tellement derrière un visage qui semble impassible. Delon est un acteur qui peut être formidable.

Découvrir L’Insoumis (c’était la plus longue intro depuis la création de ce blog) apporte un autre éclairage, plus éclairant encore, sans doute. Quand il tourne ce film du jeunot Alain Cavalier, Delon est déjà une star : Clément et Visconti lui ont offert de très grands rôles, Gabin l’a adoubé… Bref, il peut faire ce qu’il veut, et il en a conscience : il décide de produire ses propres films, et L’Insoumis est le premier qu’il porte à bout de bras.

Et quel rôle s’offre-t-il dans ce premier film produit par lui-même ? Celui d’un déserteur de la guerre d’Algérie. Pas un lâche, non : la première séquence montre que ce n’est pas le cas. Mais un soldat qui déserte parce qu’il ne croit pas en la cause pour laquelle il est censé se battre. Bien loin de l’image de réac de droite qu’il a toujours trimballée.

Non pas que cette image soit fausse d’ailleurs : lui-même ne s’en défendait pas, et se complaisait même à l’alimenter ad nauseum. Mais les idées de l’homme n’ont finalement jamais pesé sur les choix de l’acteur, et c’est peut-être ça qui est le plus beau chez Delon, capable de s’engager pour un film anti-peine de mort (Deux hommes dans la ville), lui qui était favorable, ou d’incarner sans retenue un homosexuel (Un amour de Swann), lui qui trouvait ça contre-nature.

Et je me rend bien compte que je parle bien peu de L’Insoumis, et c’est bien injuste. Parce que ce film, franchement méconnu dans la filmographie de Delon, est l’un de ses meilleurs, un beau film engagé qui prend les allures d’un film noir pour raconter la déroute d’un homme qui, au fond, refuse simplement de suivre les diktats de la société. Un homme qui choisit la liberté, en sachant que ce choix l’emmène dans une véritable impasse.

Delon est particulièrement touchant dans le rôle de cet anti-héros, qui semble condenser sa vie en quelques heures, dans une fuite en avant passionnante et amère. Ce grand rôle méconnu, dans un film qui l’est tout autant, pourrait bien être, paradoxalement, une belle porte d’entrée pour découvrir ou redécouvrir la carrière de l’acteur, au-delà des stéréotypes dans lesquels il s’est lui-même complu.

Le Club des trois (The Unholy Three) – de Tod Browning – 1925

Classé dans : * Films de gangsters,1920-1929,BROWNING Tod,FILMS MUETS — 21 août, 2024 @ 8:00

Le Club des Trois

Tod Browning dans l’univers du cirque ? C’est avant L’Inconnu et Freaks, et c’est forcément très excitant, surtout que le cinéaste dirige une nouvelle fois son alter-ego du muet, le grand Lon Chaney. Le Club des trois, pourtant, m’a laissé sur ma faim, donnant le sentiment d’une petite chose pas désagréable, mais bien vaine à côté des deux chefs-d’œuvre à venir.

C’est un peu à l’image de Lon Chaney qui, s’il se déguise (ça devait être contractuel!) bien sous les traits d’une vieille dame très convenable qui sert de couverture à ses activités illégales, incarne un personnage pour une fois bien convenu : un ventriloque (dans un film muet, on ne peut que croire les cartons sur parole) qui se sert de son don pour monter une arnaque avec deux autres artistes du cirque, un colosse (Victor McLaglen, juste avant de commencer sa collaboration avec John Ford) et un nain aux traits juvéniles (Harry Earles, que l’on reverra dans Freaks).

Le personnage est assez classique. Le film l’est tout autant, Browning délaissant l’horreur au profit d’un récit policier assez simple. Ce n’est d’ailleurs que quand le cinéaste laisse allers ses penchants pour la bizarrerie que son film reprend du souffle, en particulier lorsque le nain aux allures de bébé tout mignon révèle sa cruauté.

Là, Le Club des trois dérange, bouscule et passionne. Pour l’essentiel, il se laisse voir avec un petit plaisir vaguement distrait. C’est bien, mais on attend tellement plus fort du cinéaste de West of Zanzibar.

Place Vendôme – de Nicole Garcia – 1998

Classé dans : * Polars/noirs France,1990-1999,GARCIA Nicole — 20 août, 2024 @ 8:00

Place Vendôme

J’aime bien le cinéma de Nicole Garcia, sa manière de dresser des portraits sensibles et complexes, et sa manière aussi de diriger les acteurs (et actrices), en tirant souvent quelques-unes de leurs meilleures prestations. Avec Catherine Deneuve, Jean-Pierre Bacri ou Jacques Dutronc devant sa caméra, autant dire qu’elle n’avait pas forcément à forcer son talent, pour en tirer le meilleur. Et pourtant, tous trois réussissent à surprendre, avec des personnages d’une belle complexité, et d’une belle évidence en même temps.

Deneuve surtout, est magnifique dans le rôle de cette veuve d’un grand joaillier, fragile psychologiquement, qui décide contre toute attente (et contre les intérêts de pas mal de gens) de reprendre les affaires de feu son mari, découvrant par la même occasion les libertés qu’il prenait avec les lois, ou la morale.

Parce que pour une fois, Nicole Garcia signe un film de genre : une sorte de polar à l’atmosphère très élégante, et à l’intrigue touffue et complexe. Un prétexte, d’ailleurs. Parce que même si cet aspect polar tient ses promesses, ce n’est visiblement pas ça qui intéresse la cinéaste et coscénariste (le film est écrit avec Jacques Fieschi, co-auteur de tous les films de Garcia), qui préfère décortiquer les relations elles aussi complexes entre les personnages.

Encore que « décortiquer » n’est pas le terme le plus adéquat, tant il se dégage un naturel et une vérité de ces rapports, parfois très inattendus, à l’image de cet étonnant flirt entre la sophistiquée et sublime Catherine Deneuve et un Jean-Pierre Bacri emprunté mais touchant, loin de son univers. Le contre-pied de cette ancienne idylle entre le personnage de Deneuve et celui de Dutronc, deux oiseaux de la même branche…

Les débuts de Nicole Garcia derrière la caméra avaient d’emblée étaient beaux (Un week-end sur deux, puis Le Fils préféré). Mais c’est avec ce troisième long métrage qu’elle gagnait ses galons de grande cinéaste. Depuis, elle n’a cessé de confirmer qu’elle fait partie des plus grands.

Non ma fille, tu n’iras pas danser – de Christophe Honoré – 2009

Classé dans : 2000-2009,HONORE Christophe — 19 août, 2024 @ 8:00

Non ma fille tu n'iras pas danser

Ah ! La famille ! Celle que filme Christophe Honoré dans Non ma fille, tu n’iras pas danser a de la gueule : une vraie ouverture d’esprit, une grande culture (de gauche), une grande maison à la campagne, des rites bien ancrés, une facilité de communiquer… Bref, la famille idéale : les parents septuagénaires sont même restés actifs sexuellement, alors…

Pourtant, derrière ce bel équilibre apparent, il ne faut pas longtemps pour ressentir le malaise. Pire, même : le sentiment d’étouffement que ressent l’aînée, Léna. La jeune femme avait tout pour être épanouie, elle aussi : un mari, deux enfants, un chouette métier. Mais elle a quitté le premier, qui la trompait, et abandonné le dernier. Quant à son rôle de mère, elle s’y accroche avec le désespoir de celle qui perd pied.

Elle, c’est Chiara Mastroianni. Évidemment, aurait-on envie d’ajouter, tant l’actrice est devenue l’incarnation idéale du cinéma d’Honoré. Celui-ci est son premier premier rôle devant la caméra du cinéaste. Et l’un de ses plus beaux rôles, celui d’une femme qui perd pied et que les bonnes volontés qui l’entourent enfoncent plus qu’elles ne l’aident.

Il y a pourtant de l’amour, autour d’elle. Mais il y a aussi cette place que l’on réserve aux femmes, et aux filles, cette violence plus ou moins ordinaire dont elle cherche simplement à se détacher, quitte à rater, ou à abandonner, tout ce qu’on attend naturellement d’elle : soit belle, soit souriante, soit aimable, aimante, dévouée…

Le film est à la fois chaleureux et extrêmement cruel, et d’une justesse totale. Grand directeur d’acteur, Christophe Honoré est aussi est un cinéaste d’une immense sensibilité. Et audacieux, sur tous les plans. Sur le fond d’abord, il s’attaque à un sujet fort et pas si rare (les violences sexistes ordinaires, donc), mais dans un milieu intellectuel de gauche qui a toujours été le sien, tournant même pour une fois dans sa Bretagne d’origine.

Et sur la forme aussi, Honoré est un cinéaste audacieux, d’une grande maîtrise et d’une grande liberté en même temps, s’autorisant des pas de côtés étonnants : un monologue face caméra qui marque une pause inattendue ou, plus surprenant encore, une histoire racontée par un enfant qui prend forme à l’écran durant de longues minutes…

Ce pourrait être totalement accessoire, mais cette liberté contribue à construire cette atmosphère immersive du film, qui va bien au-delà du seul personnage de Chiara Mastroinanni. Car en creux, c’est le portrait de toute une famille que dresse Honoré, sans jamais abdiquer sur la complexité des êtres, mais avec une vérité absolue, où les sentiments les plus contradictoires cohabitent constamment.

C’est beau, c’est rude, c’est bouleversant, et ça donne une envie folle de se replonger dans le cinéma d’Honoré, que j’avais tant aimé à ses débuts, et que j’avais abandonné depuis des années. La preuve : c’est avec ce film qu’il fait, très tardivement, son entrée sur ce blog. Il était temps…

12345...329
 

Kiefer Sutherland Filmographie |
LE PIANO un film de Lévon ... |
Twilight, The vampire diari... |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | CABINE OF THE DEAD
| film streaming
| inderalfr